L’augmentation de la population mondiale responsable des crises sanitaires ?
Densité de l'habitat urbain de Ngor, Dakar (Sénégal). © IRD - Seydina Ousmane Boye , Author provided
Ebola, chikungunya mais aussi sida ou grippes aviaires… Les risques et enjeux liés aux maladies infectieuses émergentes ou ré-émergentes sont désormais bien établis pour l’homme. Avec l’accélération depuis les années 1940 des épidémies, qui ont connu une multiplication par dix, anticiper l’essor de nouveaux pathogènes zoonotiques (provenant des animaux) à travers le monde est devenu le principal défi de santé publique actuel.
Ce qui est moins mis en avant, c’est comment les transformations de l’environnement que nous provoquons les favorisent.
De nombreuses études montrent pourtant que l’émergence de maladies infectieuses zoonotiques est étroitement liée à la modification des paysages par notre espèce.
Ainsi, les altérations du paysage, en particulier la déforestation et le développement agricole, la déstructuration des écosystèmes aquatiques ou encore la fragmentation des forêts périurbaines qui perturbe l’interface homme-animal-environnement, tout comme les changements climatiques, sont les principaux moteurs de l’émergence des maladies infectieuses (MIE).
Il existe en effet une « géographie » des pathogènes : les attributs naturels du paysage, comme l’altitude ou la présence de plans d’eau, influent sur leur localisation et leur diffusion – par exemple en jouant un rôle de barrières géographiques, empêchant le déplacement des hôtes.
Des modifications rapides des territoires (déforestation, agriculture, expansion agricole…) peuvent donc bouleverser l’étendue spatiale initiale des hôtes et des réservoirs de pathogènes. Avec pour conséquence la possibilité d’augmenter la probabilité de contact entre l’homme et un hôte ou un réservoir, et ainsi favoriser le passage de micro-organismes potentiellement infectieux encore inconnus de l’animal à l’être humain (zoonose).
Développer des approches paysagères pour détecter le risque d’émergence de maladies nécessite d’intégrer plusieurs types de données spatiales :
La complexité du paysage, en utilisant des systèmes d’information géographique (SIG),
Des données de télédétection,
La distribution des maladies infectieuses émergentes,
La distribution des environnements immédiats de ces MIEs.
Les modèles mathématiques aident à intégrer ces données afin de prédire les zones les plus à risque.
Représentation des liens entre les différentes crises environnementale, climatique et sanitaire sur fond de forte croissance démographique au niveau. Gauthier Dobigny et Geneviève Michon, IRD ; Angela Jimu, Cirad ; Jean-Louis Duprey, projet CAZCOM
Comment prédire de façon réaliste les futures épidémies ?
Les maladies infectieuses d’origine animale (zoonoses) représentent plus de 70 % des MIEs de ces dernières décennies. L’identification de leurs zones à risque d’émergence à travers le monde est donc primordiale… mais difficile puisqu’elles dépendent tant de la distribution spatiale des hôtes et réservoirs de pathogènes que de leur interaction avec l’homme. Ce n’est toutefois pas impossible.
Dans une étude récente, nous montrons qu’en incluant les facteurs écologiques, climatiques et paysagers (avec les modifications induites par l’homme), il est possible d’identifier ces potentielles zones à risque et de prédire les futurs points chauds d’émergence. Une telle approche pourrait servir de référence à des systèmes de surveillance et d’alerte précoce.
Pour trois groupes de maladies zoonotiques virales majeures (filovirus, hénipavirus et coronavirus), nous avons pu cartographier les zones à haut risque d’émergence en nous basant sur la distribution spatiale des réservoirs et des hôtes ainsi que sur les données de l’OMS sur leur distribution. Et à chaque fois, nous avons constaté que la croissance démographique au sein de paysages modifiés par l’homme était un facteur prédictif commun à leur émergence. Ce que nous développons ci-dessous.
Il est à noter que malgré les questionnements mondiaux actuels liés à l’origine du Covid-19, le déplacement des empreintes géographiques des agents pathogènes et/ou des hôtes infectés par ces derniers suite à la perturbation des écosystèmes conduit toujours à des émergences de maladies infectieuses.
Des spécificités liées à chaque famille de virus
Nos travaux montrent que les précipitations et l’augmentation de la température minimale nocturne favoriseraient l’émergence des épidémies liées aux Filovirus (Ebola, virus de Marburg…).
Risque prédictif de l’émergence de maladies à Filovirus, Jagadesh et coll. 2021.
Cependant, nous avons aussi constaté que 69 % des points chauds d’émergence détectés à travers le monde dépendaient non seulement de ces facteurs climatiques (température et précipitation) mais aussi de facteurs humains tels que l’augmentation de la population sur un paysage modifié.
De même, outre les facteurs climatiques et de modification des sols, les points chauds d’émergence des hénipavirus (Virus Nipah) sont dépendants, eux, d’une faible altitude et d’une faible pluviométrie.
Risque prédictif de l’émergence de maladies à Henipavirus (en rouge) modélisé avec la distribution spatiale des réservoirs mammaliens (en gris). Jagadesh et coll. 2021
On a également constaté que les émergences de maladies dues au virus Ebola et aux coronavirus sont associées aux paysages impactés par l’homme.
Pour les épidémies d’Ebola, il semble qu’elles ne seraient pas directement liées à la densité de population, comme précédemment proposé. Seraient plutôt prépondérants des effets de l’augmentation de la population sur le paysage : urbanisation, déforestation, exploitation minière, fragmentation des terres et chasse.
En revanche, la densité de population semble être significativement et directement liée aux points chauds d’émergence des coronavirus (SARS et MERS). Des études mettent en avant le rôle de l’exposition aux fluides corporels de mammifères infectés élevés dans des espaces confinés pour la viande de brousse et les activités récréatives, respectivement.
Les restaurants et marchés de viande de brousse « saveur sauvage » sont souvent situés dans des villes densément peuplées, où la demande en protéines exotiques est élevée et où les cas de maladies sont donc plus susceptibles d’être signalés.
Qu’il soit direct ou indirect, l’effet de la densité de population reste crucial dans la propagation des épidémies et représente donc un facteur important à prendre en compte.
Les effets du changement climatique
Des données récentes montrent que l’augmentation de la température et les précipitations saisonnières imprévisibles dues au changement climatique ont également un effet indirect sur l’émergence des maladies : via de soudains changements écologiques de leur réservoir, la perte de biodiversité et la migration des petits mammifères hôtes.
Par exemple, la température minimale est le facteur limitant pour le développement des parasites et la distribution des vecteurs dans la transmission du paludisme, mais aussi pour d’autres épidémies comme la fièvre hémorragique de Crimée-Congo et le Zika. Cette dépendance spatiale directe aux températures minimales est inquiétante…
En effet, avec le changement climatique, l’augmentation des températures minimales nocturnes allongent les périodes sans gel dans la plupart des régions de moyenne et haute latitude. Ce qui pourrait potentiellement augmenter l’étendue latitudinale des zones à risque d’émergence.
Des spécificités régionales : le cas de l’Inde
Il est intéressant de noter que les zones à risque d’émergence de maladies à coronavirus, principalement situées en Inde, dépendraient de l’augmentation de la température minimale nocturne, du changement de la couverture terrestre induit par l’homme… et seraient les seules à être directement positivement impactées par la densité de population.
Risque prédictif d’émergence de maladies Coronaviridae (en rouge) modélisé avec la distribution spatiale des réservoirs mammaliens (en gris). Jagadesh et coll. 2021
Compte tenu de la densité de population et de la connectivité dans un pays comme l’Inde, l’émergence d’un coronavirus pourrait donc conduire à une épidémie comme celle du SARS. Ces résultats soulignent la nécessité d’une surveillance active des pathogènes zoonotiques dans les régions à haut risque.
Des études ont émis l’hypothèse que la déforestation et les inondations, dans les plaines du bas Gange et les marais de faible altitude, causant la destruction des habitats de chauves-souris frugivores (famille des Pteropodidae) réservoirs du virus Nipah, pourrait être à l’origine de l’émergence du virus.
L’engrenage est implacable. Les rapides changements de leurs habitats entraînent la famine des chauves-souris. Elles vont donc migrer vers des arbres fruitiers, se trouvant le plus souvent à proximité d’habitations humaines, entraînant leur contamination et donc une exposition accrue à l’agent pathogène.
Nos résultats soutiennent cette hypothèse d’un risque accru d’épidémies de virus Nipah associées aux plaines de basse altitude, aux inondations et aux changements rapides d’habitat induits par l’homme.
Quelles solutions ?
Les solutions pourraient résider dans des mesures dissuasives strictes à l’égard de l’exploitation forestière et de la déforestation conduisant à la fragmentation du paysage. Elles dissuaderaient les chasseurs en leur coupant l’accès aux forêts tropicales et en réglementant le commerce de la viande de brousse.
Plus important encore, un engagement mondial pour limiter la monoculture extensive et le pâturage du bétail est nécessaire. Une surveillance active est également essentielle dans les régions à haut risque pour détecter les événements épidémiques humains sous-déclarés. Enfin, une surveillance active ciblée de l’émergence de pathogènes zoonotiques, tenant compte de l’influence des paysages modifiés par l’homme et du climat, pourrait prévenir les futures épidémies et pandémies.
Mais, finalement, la question fondamentale de la démographie humaine mondiale et sa répartition spatiale reste le point central de toutes ces crises environnementale, climatique et sanitaire.
Les futures initiatives internationales seront OneHealth
L’ancienne directrice générale de l’OMS, Margaret Chan, déclarait que des leçons avaient été apprises lors de son passage à l’OMS :
« Les acteurs de la santé publique doivent élargir leur vision de la sécurité sanitaire au-delà des maladies infectieuses et reconnaître l’importance cruciale de la santé animale, de l’approche “OneHealth”, de la sécurité alimentaire et d’une relation harmonieuse avec la nature. »
Depuis le début de la crise du Covid-19, un foisonnement d’initiatives OneHealth a vu le jour afin de mieux comprendre les relations entre les crises climatiques, de biodiversité et sanitaire.
En France, PREZODE (Preventing zoonotic disease emergence) est une initiative internationale annoncée par le président de la République française lors du One Planet Summit en janvier 2021, impliquant l’Inrae, le Cirad et l’IRD. En cours de construction, elle a pour but de mieux comprendre et prévenir l’émergence et la propagation des zoonoses.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) ont également annoncé la création d’un panel d’experts de haut niveau sur l’approche « Une seule santé » (OneHealth).
Ce panel va alimenter en mars la tripartite (OMS, FAO, OIE) et le PNUE avec une feuille de route sur la gouvernance des zoonoses et des futures épidémies. Le tout selon une approche globale de la santé pour éviter les impacts de pandémies éventuelles, tout en garantissant la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des communautés les plus vulnérables.
Pour autant, la question de la démographique humaine reste très souvent étonnamment absente de ces approches OneHealth malgré son rôle central, direct ou indirect, dans les futures crises sanitaires.
Publié par Dominique Manga dans
AUTEURS
Rodolphe Gozlan
Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Marine Combe
Chargée de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Soushieta Jagadesh
Doctoral Student, Institut de recherche pour le développement (IRD)
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