Au Sénégal, quelle couverture de santé des personnes âgées souffrant de diabète et d’hypertension ?
Témoignage : « Je suis diabétique, hypertendue et asthmatique, mes médicaments me coûtent 50 000 francs CFA par mois. C’est trop cher. Si tu n’as pas d’argent, tu vas mourir ; je gagne 100 000 francs CFA par mois. »
En 2013, l’État sénégalais a mis en place un dispositif de couverture sanitaire nommé Couverture médicale universelle (CMU), visant à fournir une couverture – partielle ou totale – des frais de santé à l’ensemble de la population.
Une enquête récente montre que ce système ne remplit pas encore pleinement son rôle auprès des personnes âgées souffrant de maladies chroniques.
La CMU, vers un regroupement des dispositifs de couverture maladie
La CMU, qui est principalement basée sur l’affiliation volontaire à des mutuelles communautaires de santé, a également regroupé différents mécanismes de couverture préexistants, notamment plusieurs initiatives de gratuité – parmi lesquelles la gratuité des soins pour les personnes âgées de 60 ans et plus, appelée « Plan Sésame ».
Plusieurs régimes de couverture médicale existent au Sénégal pour les personnes âgées. Les anciens salariés du secteur privé sont couverts par l’institution de Prévoyance Retraite du Sénégal (IPRES), les retraités de la fonction publique par le Fonds National Retraite (FNR). Ces dispositifs concernent entre 10 et 30 % des personnes âgées.
Le Plan Sésame a été instauré pour venir en complément de ces dispositifs et fournir une couverture médicale à l’ensemble des personnes âgées qui n’en bénéficiaient pas. Initié en 2006, il prévoyait de fournir une prise en charge médicale gratuite dans toutes les structures sanitaires publiques du pays (postes de santé, centres de santé, hôpitaux) aux personnes âgées de 60 ans et plus. En théorie, les structures de soins fournissent les prestations qui leur sont remboursées par l’État.
En pratique, la mise en œuvre du Plan s’est heurtée à plusieurs difficultés qui en ont très tôt limité la portée. En 2009, certaines prestations ont été exclues des remboursements pour limiter l’accroissement des dépenses. Plusieurs études réalisées entre 2010 et 2013 ont décrit les causes de divers dysfonctionnements et leurs conséquences. Après l’instauration de la CMU, le financement du plan Sésame y a été intégré. En 2014, sa gestion a été confiée à la cellule d’appui à la CMU.
La méthode de l’enquête
Dans le cadre du programme de recherche Unissahel, nous nous sommes intéressés aux effets du Plan Sésame/CMU sur les dépenses de santé des personnes âgées à Dakar, en nous focalisant sur celles atteintes de diabète et/ou d’hypertension, maladies dont le nombre augmente de manière constante dans tous les pays d’Afrique, y compris au Sénégal. La régularité du suivi médical est indispensable pour éviter les complications invalidantes pour les personnes – infarctus cardiaque, accident vasculaire cérébral, cécité, etc. –, et coûteuses pour la collectivité. Nous avons donc mené notre étude auprès de patients seniors de deux structures sanitaires publiques dakaroises, le centre de santé Gaspard Kamara et le centre de diabétologie Marc Sankalé de l’hôpital Abass Ndao.
L’enquête a été menée entre septembre 2020 et mars 2021, auprès de 225 personnes (dont 141 femmes) ; l’âge moyen était de 68 ans pour les deux sexes, l’âge maximal de 96 ans ; 81 personnes avaient 70 ans et plus. Les trois quarts de ces personnes avaient un diabète, de l’hypertension, ou les deux maladies associées ; les autres présentaient diverses affections ostéo-articulaires (arthrose et rhumatisme), infectieuses (« grippe »), ophtalmologiques, dermatologiques, etc.
Les informations, collectées au sortir d’une consultation de routine, ont permis de calculer le coût médical moyen lié à la consultation sur la base du prix des différentes prestations (consultations, achat des médicaments, examens biologiques et radiologiques), et le montant de la part payée par le patient, ce que l’on nomme le « reste à charge » du patient. Le reste à charge est défini comme « la part de la dépense de santé que les personnes ont à payer directement lors des soins, après intervention de l’assurance maladie, de l’État ou des organismes d’assurance maladie complémentaire ».
Une application variable du Plan Sésame
Bien que le Plan Sésame soit défini dans le cadre d’une stratégie nationale, sa mise en œuvre est variable selon les structures sanitaires et les époques. La décision imposée aux structures de santé de fournir gratuitement un ensemble de prestations et les délais de compensation par l’État ont privé ces structures d’une part de leurs ressources et créé des déséquilibres budgétaires dans leur gestion.
La plupart ont réagi en restreignant l’offre de service ; par exemple, aucune structure de santé ne fournit gratuitement les médicaments. Au moment de l’enquête, le centre Gaspard Kamara appliquait le Plan Sésame pour la prise en charge des seules consultations médicales réalisées par un médecin généraliste. Cette consultation, tarifée à 1 000 francs CFA (1,52 €), était couverte au Plan Sésame et donc gratuite pour le patient. À l’inverse, les consultations avec un médecin spécialiste (ophtalmologie, cardiologie, etc.), facturées 5 000 francs CFA, n’étaient pas couvertes par le Plan Sésame, de même que l’ensemble des autres dépenses (achat de médicaments, examens biologiques et radiologiques).
Au centre Marc Sankalé, le Plan Sésame n’était plus en application au moment de l’enquête ; la consultation (2 200 francs CFA) ainsi que toutes les autres prescriptions étaient donc à la charge complète de l’usager. Pour les examens biologiques et radiologiques, ces deux centres dirigeaient les patients vers des hôpitaux qui appliquaient le plan pour éviter de fournir eux-mêmes ces prestations gratuitement, même lorsqu’elles étaient disponibles sur place.
73 % du coût médical est encore supporté par les patients eux-mêmes
Toutes les personnes enquêtées auraient dû bénéficier de la couverture liée au Plan Sésame mais son application variable et limitée selon les structures sanitaires, ainsi que l’absence d’utilisation des autres dispositifs d’aide existants, conduisent à ce que 73 % du coût médical soit supporté par les patients eux-mêmes ; le Plan Sésame couvre 26 % du coût médical moyen, les assurances et mutuelles seulement 1 %.
Cette proportion de restes à charge prend toute son importance dans le cas des personnes souffrant d’hypertension artérielle (HTA) et/ou de diabète, puisque les consultations et les soins coûtent bien plus cher (de 32 000 à 37 000 francs CFA en moyenne, 51000 francs CFA pour les patients atteints des deux pathologies). La part principale des coûts est liée aux examens biologiques et radiologiques, qui constituent 67 % du coût médical moyen pour l’HTA, et 80 % du coût médical moyen pour le diabète.
Bien que le Plan Sésame soit appliqué de manière variable selon les structures, il permet une réduction sensible du montant du reste à charge. Ainsi, le montant couvert par le Plan est de 10 000 francs CFA pour l’HTA, 16 000 francs CFA pour le diabète et de 25 000 francs CFA pour l’association des deux maladies ; le reste à charge moyen est quasi identique pour l’HTA et le diabète (22 000 francs CFA) ; il est de 26 000 francs CFA pour l’association des deux maladies.
Soigner les aînés, une lourde charge pour les familles sénégalaises
Les études statistiques publiées en 2021 rapportent qu’au Sénégal, la dépense quotidienne moyenne est de 1 390 francs CFA/personne/jour ; et que près de 38 % de la population vit avec 913 francs CFA/personne/jour, somme qui représente le seuil de pauvreté calculé en 2019.
Ainsi, le reste à charge moyen d’une consultation de suivi de l’hypertension, du diabète ou de l’association des deux maladies représente de 15 à 30 jours de dépense quotidienne. Alors que la grande majorité des personnes âgées ne disposent pas de pension de retraite au Sénégal, les dépenses de santé incombent donc à leurs proches.
Notre enquête montre que 58 % des personnes ont eu tout ou partie de leur dépense médicale couverte par un parent. Au sein des ménages, la dépense médicale « pour les vieux » entre en concurrence avec les besoins de base, notamment alimentaires, qui captent habituellement plus la moitié des ressources des ménages. Cet indispensable soutien familial place les personnes âgées en situation de totale dépendance et de vulnérabilité médicale et sociale.
Si, en 2021, le Plan Sésame ne permet pas encore une totale gratuité des soins pour les personnes âgées, son application, même partielle, se traduit par une réelle baisse des dépenses de santé des personnes âgées. Mais son utilisation demeure limitée du fait d’une application inconstante par la plupart des structures sanitaires.
Son impact est insuffisant au regard des sommes que les usagers doivent débourser dans un contexte de vulnérabilité sociale et économique. Il est donc nécessaire de travailler à la réduction du prix des prestations médicales et au renforcement de la CMU, pour améliorer l’équité et la performance du dispositif, et le rendre entièrement fonctionnel dans toutes les structures de soins du pays.Publié par Dominique Manga dans
(source THE CONVERSATION)
AUTEURS
Bernard Taverne
Anthropologue, médecin, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Bintou Rassoul Top
Assistante de recherche au Centre de recherche et de formation, Dakar, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Gabriele Laborde-Balen
Anthropologue, Centre Régional de Recherche et de Formation à la prise en charge Clinique de Fann (CRCF, Dakar), Institut de recherche pour le développement (IRD)
Khoudia Sow
Chercheuse en anthropologie de la santé (CRCF)/TransVIHMI, Institut de recherche pour le développement (IRD)
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