Au Sénégal, la polémique enfle contre les violences obstétricales

Maïmouna Ba, mère d’Astou Sokhna, enceinte de neuf mois décédée le 1er avril à l’hôpital régional de Louga après avoir demandé en vain l’aide du personnel soignant.
Au Sénégal, la polémique enfle contre les violences obstétricales La mort d’une femme enceinte de neuf mois après avoir demandé en vain d’être prise en charge dans un hôpital du nord du pays a suscité une vague d’indignation Dans la modeste maison familiale, la douleur se lit sur les visages. Tantes, sœurs et voisines font bloc autour de la mère d’Astou Sokhna, décédée le 1er avril à l’hôpital régional de Louga, à 200 kilomètres au nord de Dakar. Tenant entre ses mains un album rempli de photos de la jeune trentenaire, Maïmouna Ba témoigne des vingt heures d’agonie vécues par sa fille. Enceinte de neuf mois, celle-ci a attendu en vain et dans de grandes souffrances qu’on lui fasse une césarienne. « Elle a appelé la sage-femme à maintes reprises à cause de ses maux de ventre intenses et de ses vertiges, mais personne ne lui répondait, s’indigne la mère de famille. Ma colère s’adresse au personnel soignant car ils l’ont négligée. Ils n’ont aucune considération pour l’être humain. » La famille a porté plainte le 7 avril contre les responsables du centre hospitalier de Louga. Devant le tollé, le ministre de la santé, Abdoulaye Diouf Sarr, a dû intervenir publiquement jeudi 14 avril. Il a admis que le décès d’Astou Sokhna aurait pu être évité s’il y avait eu « une bonne évaluation des risques et une surveillance optimale » durant son séjour à la maternité. Une enquête a été ouverte tandis que le directeur de l’hôpital a été démis de ses fonctions et le personnel de garde durant le décès suspendu. Ces soignants ont tenu un sit-in le 14 avril devant l’hôpital de Louga pour démentir la thèse de la négligence et pointer du doigt leurs conditions précaires de travail. Des violences récurrentes Parmi leurs récriminations : la perte d’un bloc opératoire, la réduction de la capacité d’accueil pour les grossesses pathologiques et les patientes en postopératoire, conduisant à mettre parfois deux à trois parturientes par lit, l’insuffisance en ressources humaines (409 agents de santé en 2022 pour plus de 25 000 consultations). Le personnel de santé accuse aussi la structure de ne plus payer les gardes et les astreintes depuis septembre 2021. De son côté, le ministre Abdoulaye Diouf Sarr a tenu à préciser que cette mort tragique « ne reflète pas l’état actuel du système de santé qui, ces dernières années, a connu des progrès significatifs ». Entre 2000 et 2020, le taux de mortalité infantile est ainsi passé de 6,7 à 2,9 % au Sénégal, selon la Banque mondiale.
Photo (Marche à Louga le 15 avril 2022 pour demander justice pour Astou Sokhna, mais aussi pour dénoncer les violences récurrentes dans l’hôpital régional de cette petite ville). Ce constat ne rassure pas les centaines de manifestants qui ont marché vendredi 15 avril à Louga pour demander justice pour Astou Sokhna, mais aussi pour dénoncer les violences récurrentes dans l’hôpital régional de cette petite ville de l’intérieur du pays. De nombreuses femmes s’époumonaient dans le cortège, malgré la chaleur et le jeûne du ramadan. « C’est la première fois que je vois une telle mobilisation à Louga. Cela s’explique car chacune de ces femmes a été victime de violence ou de maltraitance à l’hôpital », affirme Mamyto Nakamura, membre du collectif Justice pour Astou Sokhna à l’initiative de la marche. Une pétition en ligne pour réclamer de « mettre fin à toutes les formes de violences que subissent les femmes à l’hôpital de Louga » a atteint près de 85 000 signatures en moins d’une semaine. La culture de la peur du regard de l’autre A la fin de la mobilisation, Mamyto Nakamura a transmis au gouverneur de la région une liste de revendications, dont l’amélioration du plateau médical et des équipements. Le collectif veut aussi mettre en place des pôles de surveillance de la société civile dans tous les hôpitaux du Sénégal, car l’affaire d’Astou Sokhna dépasse le cas de Louga. « Pendant longtemps, nous avons été complices car nous n’avons pas dénoncé ces violences et les négligences. Aujourd’hui, c’est l’occasion d’essayer d’avoir gain de cause dans ce combat national », soutient Mamyto Nakamura. Cette féministe lougatoise assure avoir reçu depuis le drame des centaines de témoignages de femmes signalant des cas de maltraitance. Mais la plupart ne souhaitent pas prendre la parole à cause de la « sutura », qui désigne au Sénégal la culture de la discrétion et la peur du regard de l’autre. « Je me bats contre la sutura car des vies humaines sont en jeu. Si tout le monde avait dénoncé ces violences, Astou Sokhna serait aujourd’hui parmi nous avec son bébé », fulmine Badiane Diop, 26 ans. Elle-même n’a pas osé porter plainte quand son bébé est décédé suite à son accouchement en mars à Louga. « Malgré l’urgence, j’ai attendu plus de cinq heures avant d’être prise en charge. J’ai appelé le personnel soignant à maintes reprises, mais personne ne s’est occupé de moi. On m’a juste demandé de mettre trois serviettes hygiéniques pour empêcher le sang ou l’eau de couler, en me disant que c’était normal d’avoir mal », témoigne-t-elle. « Jamais aucun coupable n’est désigné » Sa famille s’est opposée à ce qu’elle aille en justice. « Mais je ne pardonnerai jamais ce qu’ils m’ont fait et ce qu’ils ont fait à mon bébé », lance d’un ton amer cette jeune couturière, qui n’arrive plus à trouver le sommeil depuis la perte de son nourrisson. « Toutes les femmes enceintes ont peur d’accoucher dans cet hôpital, mais elles n’ont pas les moyens d’aller dans les structures cliniques privées », précise-t-elle. Selon certaines féministes, le silence des femmes s’explique aussi par la banalisation de la souffrance lors des accouchements. « On nous apprend à enfanter dans la douleur. Mais comment prendre conscience que l’on est victime de violence si l’on est conditionnée à la supporter ? », s’indigne Khadidiatou Tida Dansokho, présidente du collectif Plus jamais ça qui, depuis 2020, se bat alors contre les violences gynécologiques et obstétricales. « Nous avons eu du mal à ce que les gens osent parler mais les langues se délient, et cette affaire Astou Sokhna est un accélérateur », reconnaît-elle. Les problèmes de maltraitance et de négligence dans les établissements de santé publique ne se limitent pas aux maternités, selon le collectif Patients en danger créé dans la foulée de l’affaire Astou Sokhna. « Des Sénégalais sont victimes d’un système défaillant, mais jamais aucun coupable n’est désigné. L’impunité nous révolte », explique Gahëls Babacar Mbaye, porte-parole du mouvement. Cette mobilisation, précise-t-elle, ne vise pas à stigmatiser le personnel médical, mais à proposer des réformes du système de santé. Le ministère de la santé affirme être conscient des problèmes. En deux ans, 3 000 soignants ont été recrutés, mais cela ne suffit pas à compenser la fuite des spécialistes vers les structures de santé privées. « Au-delà du recrutement, nous devons renforcer la formation du personnel de santé sur l’éthique et la déontologie, tout en les accompagnant sur les revenus. Mais nous devons aussi mettre l’accent sur les sanctions pour faire craindre les mauvais comportements », affirme Ousmane Dia, directeur des établissements publics du Sénégal. Une nouvelle manifestation est prévue le 23 avril à Dakar pour demander justice pour « Astou Sokhna et toutes les autres victimes » et réclamer « des soins de santé de qualité et adaptés pour les Sénégalais » Publié par Dominique Manga dans
source (Monde Afrique) AUTEUR Théa Ollivier(Louga, Sénégal, envoyée spéciale)

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