Les minerais ukrainiens, objet d’appétits étrangers depuis bien avant Donald Trump
L’accord sur les minerais que Donald Trump pourrait signer avec Volodymyr Zelensky inquiète les observateurs occidentaux, qui y voient, à juste titre, un risque de prédation des ressources stratégiques d’un pays affaibli par la guerre. Pour autant, Trump n’est pas le premier à chercher à prendre le contrôle des ressources ukrainiennes. Dès le milieu du XIXe siècle, le riche sous-sol du pays a suscité bien des convoitises.
En compensation de l’aide apportée par les États-Unis à Kiev au cours de ces dernières années, Donald Trump exige pour son pays la mainmise sur les minerais ukrainiens.
Concrètement, la dernière version de ce texte proposée par Washington accorderait aux États-Unis un contrôle substantiel sur un nouveau fonds qui investirait dans la reconstruction de l’Ukraine. Ce fonds recevrait 50 % des bénéfices de la future monétisation des ressources naturelles ukrainiennes détenues par le gouvernement, telles que le lithium et le titane, ainsi que le charbon, le gaz, le pétrole et l’uranium.
Ces conditions, bien qu’elles ne garantissent pas la poursuite du soutien militaire américain, constituent une légère amélioration par rapport à la première offre de Trump. Celle-ci aurait imposé à l’Ukraine des conditions financières plus sévères que celles imposées à l’Allemagne après la Première Guerre mondiale.
Toutefois, cet accord obligera les futures générations ukrainiennes à assumer le coût d’une guerre dont elles ne sont pas responsables. Certains, dont David Lammy, le ministre britannique des Affaires étrangères, ont fait remarquer qu’il serait plus juste de saisir les avoirs russes gelés et de les utiliser pour couvrir le coût de la réparation des dégâts causés par le régime poutinien en Ukraine.
Si de nombreux observateurs se sont montrés critiques à l’égard de l’initiative de Donald Trump, celle-ci n’en reste pas moins tout à fait conforme à la manière dont les capitalistes occidentaux ont toujours abordé l’Ukraine et ses ressources depuis le XIXe siècle.
La région du Donbass en Ukraine est une importante zone d’extraction de charbon et d’industrie ».
L’intérêt de longue date pour les minerais du Donbass
L’est de l’Ukraine, appelé Donbass, est souvent considéré comme ayant été industrialisé dans les années 1930, lorsque Joseph Staline dirigeait l’Union soviétique. À cette époque, le Donbass était présenté au monde comme un symbole de la surabondance prolétarienne, où les mineurs et les sidérurgistes dépassaient leurs quotas de production de 30 à 40 fois.
Mais le développement de l’extraction industrielle dans l’est de l’Ukraine remonte à bien plus longtemps. Il a été alimenté, en partie, par des capitaux et des technologies européens.
Au milieu du XIXe siècle, alors que cette partie de l’Ukraine était contrôlée par l’Empire russe, les tsars ont ouvert les frontières du pays aux investissements étrangers dans l’espoir d’accélérer son industrialisation. Une série de mesures fiscales a été introduite pour inciter les étrangers à investir dans les marchés industriels émergents de l’Empire.
Ces mesures ont encouragé une vague de migration économique en provenance d’Europe occidentale vers tout l’Empire russe. Les capitalistes étrangers se sont souvent associés aux élites économiques russes de Saint-Pétersbourg et autres grandes villes, et ont pu générer d’énormes profits grâce à l’extraction des précieuses ressources de l’Empire.
Le Donbass, avec sa richesse en minerais, était une région particulièrement intéressante pour les capitalistes étrangers. Des industriels français, belges, allemands, néerlandais et britanniques se sont installés dans la région au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, espérant faire fortune en exploitant le sel, la craie, le gypse et le charbon de la région. En raison de l’intense circulation de capitaux belges, le Donbass était même surnommé « la dixième province belge ».
L’esprit colonialiste des puissances occidentales derrière l’exploitation des ressources de l’Ukraine
Malgré le paternalisme de certains gestionnaires étrangers, l’extraction des minerais ukrainiens n’a guère amélioré la vie des communautés locales. Elle a au contraire contribué au déplacement des populations et a causé des dommages environnementaux et écologiques massifs.
Les plans d’urbanisme étaient bien souvent conçus sur le modèle des colonies européennes en Afrique et en Inde, permettant la reproduction des schémas de ségrégation. Les colons étrangers vivaient à l’écart des travailleurs locaux, dans des logements privilégiés situés dans des quartiers mieux situés de la ville, loin des fumées toxiques des hauts fourneaux et des cheminées.
Dans la colonie de Iouzovka (aujourd’hui Donetsk), nommée d’après l’industriel gallois John Hughes, des colons gallois ont tenté de reconstituer les traits de la vie britannique dans la steppe ukrainienne. Ils ont construit des courts de tennis et une église anglicane, organisé des goûters et même créé une société de théâtre amateur. Pendant ce temps, la main-d’œuvre locale vivait dans une grande pauvreté, souvent logée dans des baraquements ou des abris en terre.
Dans ces conditions déplorables, les maladies infectieuses et le mécontentement étaient très répandus. Plusieurs rapports font état d’hôpitaux locaux débordés et d’émeutes à la suite d’épidémies de choléra généralisées.
Les hauts fourneaux de Hughesovka dans les années 1890
Donetsk, l’une des plus grandes villes d’Ukraine, a été fondée en 1870 par un industriel du sud du Pays de Galles appelé John Hughes ». Archive PL/Alamy Stock Photo
Avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022, cette période d’exploitation capitaliste européenne suscitait déjà un vif intérêt de la part des chercheurs. Le patrimoine industriel « européen » du Donbass a été mobilisé pour raconter différentes histoires sur la région et souligner son histoire complexe et multiculturelle. Ce patrimoine est considéré comme un contre-récit potentiel à la propagande toxique du « monde russe » émanant des territoires occupés, d’après lequel l’Ukraine ferait partie intégrante de la sphère d’influence culturelle historique de la Russie.
Mais il est dangereux de se montrer trop romantique à propos de ce chapitre de l’histoire. L’investissement capitaliste étranger dans l’extraction des minerais ukrainiens n’est certes pas un exemple classique de colonialisme de peuplement, mais il présente de nombreuses similitudes avec les pratiques coloniales de l’Europe occidentale dans d’autres parties du monde à cette époque.
Cette histoire nous rappelle que l’Ukraine a longtemps été située à l’intersection d’empires. Et ces derniers ont souvent collaboré pour piller les ressources du pays, n’offrant rien ou presque en retour. (source The Conversation) Publié par Dominique Manga
Auteur
Victoria Donovan
Professor of Ukrainian and East European Studies, University of St Andrews
Ce type de collaboration prédatrice des régimes impériaux et néo-impériaux se manifeste une nouvelle fois aujourd’hui : en témoigne la proposition de Vladimir Poutine de persuader Donald Trump de renoncer à un accord avec l’Ukraine en lui promettant l’accès aux minéraux de terres rares dans les territoires occupés.
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