Limiter les césariennes abusives en forte augmentation à l’échelle mondiale
Le projet de recherche Quali-Dec mené dans des pays à revenu faible et intermédiaire s’intéresse aux césariennes pratiquées sans indication médicale ainsi qu’aux moyens de revenir à une pratique plus raisonnée et éclairée. Une piste est avancée pour limiter ces excès : faire davantage participer les femmes à la prise de décision.
Dans le monde, les taux de césarienne n’ont cessé d’augmenter ces trois dernières décennies jusqu’à atteindre des niveaux préoccupants dans de nombreux hôpitaux de pays à revenu faible et intermédiaire. Les césariennes concernaient environ une naissance sur cinq (21 %) en 2021 dans le monde. Si cette intervention peut sauver des vies lorsqu’elle est utilisée de manière appropriée, le recours à la césarienne se révèle néfaste lorsqu’elle est pratiquée de manière inutile, excessive ou routinière.
D’après une recherche menée dans le cadre du projet Quali-Dec en Argentine, au Burkina Faso, en Thaïlande et au Vietnam, le recours abusif à la césarienne est favorisé par le fait que la voie d’accouchement est encore trop souvent décidée par les médecins seuls, parfois sans indication clinique et sans concertation avec leurs patientes.
Partant de ce constat, en s’appuyant sur nos travaux de recherche, nous proposons une réflexion sur l’importance de faire participer les femmes à une « décision partagée », pour contrer la pratique abusive de la césarienne.
Une pratique excessive de la césarienne à l’encontre des attentes des femmes
Pour connaître les préférences des femmes en matière d’accouchement dans les contextes étudiés, nous avons interrogé plus de 2 000 femmes, juste après leur accouchement dans 32 hôpitaux participant au projet Quali-Dec. Ces établissements sont répartis en Argentine, au Burkina Faso, en Thaïlande et au Vietnam, et se caractérisent par des taux élevés de césarienne.
Le projet Quali-Dec est un projet de recherche qui avait pour objectif de mettre en œuvre une stratégie d’intervention devant favoriser un recours approprié à la césarienne dans les hôpitaux participants et d’évaluer son efficacité en termes de réduction des taux de césariennes.
Contrairement aux idées reçues qui décrivent la « demande maternelle » de césarienne comme un « facteur clé » de leur augmentation, nos résultats montrent que la préférence des femmes pour ce type d’accouchement est faible. En effet, parmi les femmes interrogées, seulement 9 % préféraient accoucher par césarienne. Cette proportion variait tout de même en fonction des pays, de 2 % au Burkina Faso à 18 % en Thaïlande.
À partir de ces résultats, nous avons estimé que seulement 15 % des césariennes réalisées dans ces hôpitaux pouvaient être attribuées à la préférence des femmes pour la césarienne (Figure 1).
Carte illustrant la proportion des femmes ayant une préférence pour la césarienne et estimation de la fraction des césariennes attribuable à cette préférence (projet Quali-Dec)
Figure 1 : Proportion des femmes ayant une préférence pour la césarienne et estimation de la fraction des césariennes attribuable à cette préférence. Projet Quali-Dec
La plupart des femmes préféraient ainsi un accouchement dit « naturel » ou « par voie basse », perçu comme bénéfique pour leur bien-être et pour celui de leur enfant.
Minoritaire, la préférence pour la césarienne était souvent liée à la peur de la douleur lors du travail et de l’accouchement. Dans ces contextes où l’accès à une analgésie pendant le travail est difficile, la préférence pour la césarienne semblait être un moyen de se soustraire à une expérience de l’accouchement « par voie basse » que certaines femmes considèrent comme négative.
Les causes de cette pratique excessive dans les hôpitaux étudiés
Les taux élevés de césarienne observés dans ces hôpitaux s’expliquent en grande partie par des facteurs liés aux pratiques des médecins et à la qualité des soins :
l’absence de protocoles hospitaliers favorisant l’hétérogénéité des pratiques ;
la perte progressive de compétences cliniques ;
une césarienne de plus en plus perçue par les médecins comme la méthode la plus sûre pour accoucher ;
la présence d’incitations financières inhérentes aux césariennes ;
ou encore la peur de litiges avec les femmes ou leurs familles en cas d’issues défavorables de l’accouchement par voie basse…
Autant de facteurs qui favorisent la préférence des médecins pour la césarienne, souvent par commodité.
Notre recherche a par exemple démontré que les médecins ont tendance à réaliser plus de césariennes pendant le travail lorsque le service de maternité est surchargé, afin de faciliter l’organisation des soins.
Un modèle de décision centré sur les médecins
Sous l’effet des multiples facteurs mentionnés ci-dessus, nous avons ainsi observé une pratique routinière de la césarienne (jusqu’à 60 % des accouchements dans certains hôpitaux), souvent en dépit de la préférence majoritaire des femmes pour l’accouchement par voie basse.
Par ailleurs, nous avons mis en évidence deux résultats majeurs.
Premièrement, les femmes accouchant dans ces hôpitaux sont insuffisamment informées des avantages et des inconvénients de chaque mode d’accouchement et, en particulier, des risques liés à un accouchement par césarienne. Par exemple, moins de 10 % d’entre elles savaient qu’accoucher par césarienne augmente les risques de complications lors d’une grossesse future (Figure 3).
Deuxièmement, de nombreuses femmes, notamment au Vietnam, ont indiqué que leur préférence pour la césarienne était principalement influencée par leur médecin.
Graphique représentant la proportion des femmes connaissant les risques liés à un accouchement par césarienne, parmi les femmes ayant accouché dans les hôpitaux étudiés
Figure 3 : Proportion des femmes connaissant les risques liés à un accouchement par césarienne, parmi les femmes ayant accouché dans les hôpitaux étudiés (effectifs n=2 140). Projet Quali-Dec
Nous pouvons ainsi faire le constat suivant : le choix de la voie d’accouchement est fréquemment décidé par le médecin seul, dans un contexte où les femmes, insuffisamment informées, se trouvent souvent en position défavorable dans une relation de pouvoir asymétrique face au savoir médical, renforcée par des normes culturelles valorisant l’autorité et l’influence du médecin.
Alors que cette situation contribue à de nombreuses césariennes inutiles qui ne correspondent pas aux attentes des femmes ni à leurs intérêts médicaux, faire participer les femmes à la décision portant sur leur mode d’accouchement devrait répondre aux limites d’un modèle décisionnel centré sur le médecin.
Faire participer les femmes aux prises de décisions
Impliquer les femmes dans la prise de décision de leur voie d’accouchement présente de nombreux avantages. Le premier est celui de reconnaître le droit à l’autonomie et à l’autodétermination des femmes pour des décisions qui les concernent, valeurs fondamentales dans l’éthique médicale.
Il ne s’agit pas pour les cliniciens de laisser les femmes prendre des décisions seules, mais de choisir conjointement la meilleure option, à partir des preuves disponibles. Cette approche repose donc sur une relation égalitaire qui donne une place centrale à l’information honnête et impartiale des femmes et à la discussion entre le soignant et sa patiente.
En plus d’améliorer significativement la satisfaction des patientes, la décision partagée favorise l’autoquestionnement des professionnels de santé sur leurs pratiques, elle permet de limiter les interventions médicales non justifiées et l’hétérogénéité des pratiques.
Considérée de plus en plus comme une composante essentielle de la qualité des soins en obstétrique l’implication des femmes dans le processus décisionnel de leur voie d’accouchement est encore loin d’être la norme, que ce soit dans les pays à revenu faible, intermédiaire ou élevé.
Services surchargés, manque de communication et autres défis à relever
Le manque de temps dont disposent les professionnels de santé, souvent confrontés à des services surchargés, ainsi que leurs compétences limitées en communication représentent des défis majeurs à relever pour informer convenablement les femmes enceintes. Néanmoins, une information, même de bonne qualité, n’est pas suffisante pour garantir à toutes les femmes le droit de participer à la décision concernant la voie d’accouchement.
La déconstruction des normes culturelles qui favorisent la domination du corps médical est indispensable et représente un réel défi pour équilibrer la relation de soin et réduire les taux de césariennes dans les pays à revenu faible et intermédiaire.
Il est essentiel de comprendre que le « consentement éclairé » des femmes à la césarienne, largement utilisé dans les services de maternité, ne relève pas d’une prise de décision partagée, mais correspond plutôt par définition à l’acceptation, après information, d’une décision prise par l’équipe médicale.
Ce changement de paradigme, axé sur la primauté de l’intérêt des femmes, leur autonomisation ainsi que sur l’intégration d’une approche réflexive en médecine, nécessitera de l’engagement de la part des décideurs et de la communauté médicale ainsi que l’élaboration de politiques publiques appropriées pour relever ces défis.
Cet article a été écrit avec l’aide d’Alexandre Dumont (directeur de recherche à l’IRD) et de Ouarda Lunetta-Namane (chargée de communication pour le projet Quali-Dec)( Source The Conversation)
Publié par Dominique Manga
Auteur
Camille Etcheverry
Postdoctoral research associate, Institut de recherche pour le développement (IRD)
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