Pourquoi l’Iran et ses alliés régionaux n’ont-ils rien tenté pour sauver Assad ?

Si le régime de Damas a chuté aussi rapidement, c’est en bonne partie parce que ses protecteurs régionaux habituels, à savoir l’Iran, le Hezbollah et les milices chiites irakiennes, qui l’avaient largement soutenu depuis des années, ne se sont pas portés, cette fois, à son secours. Retour sur un lâchage finalement peu surprenant. La Syrie de Bachar Al-Assad se trouvait au cœur de « l’axe de la résistance » dirigé par l’Iran. La chute du régime de Damas signifie l’effondrement de la stratégie à long terme mise en œuvre par Téhéran depuis des décennies pour étendre son influence au Moyen-Orient. Cette stratégie passait par la création et l’entretien d’un réseau de milices – le Hezbollah au Liban et diverses forces chiites en Irak – que l’Iran avait mobilisées avec succès en 2013 pour voler au secours du régime d’Assad. Or, en ces premiers jours de décembre 2024, ni ces groupes ni l’armée iranienne ne se sont portés au secours du pouvoir d’un Assad aux abois. Comment l’expliquer ? La Syrie de Bachar, et les Iraniens haut placés qui y opéraient, dans le viseur d’Israël Pour l’axe de la résistance mené par l’Iran, la valeur géostratégique du régime syrien, qui reposait en grande partie sur le fait que c’est par la Syrie que transitaient les armes que Téhéran envoyait au Hezbollah, avait nettement baissé au cours de ces dernières années. Des documents top secrets datant de mi-2023, découverts après l’effondrement du régime de Damas, donnent un aperçu du fonctionnement d’un mécanisme de communication qui avait existé des années durant entre Israël et la Syrie. Il apparaît qu’un agent lié à Israël, surnommé Moussa ou Moïse, communiquait directement (via WhatsApp) avec le ministre syrien de la Défense Ali Mahmoud Abbas pour mettre en œuvre une sorte de deal : Israël ne frappait pas l’armée syrienne, en contrepartie de quoi celle-ci restreignait l’accès du Hezbollah aux infrastructures situées sur le sol syrien. Sur un ton condescendant, Moussa a lancé à plusieurs reprises des avertissements à Abbas, énumérant différents incidents où les Syriens n’avaient pas agi pour entraver les transferts d’armes en provenance d’Iran à destination du Hezbollah, et lui rappelant que cela pouvait avoir de graves conséquences pour l’armée syrienne. En juin 2023, Moussa avertit ses interlocuteurs syriens que « leur nouvelle tentative de fournir une assistance aux membres du Hezbollah en matière de capacités de défense aérienne » doit cesser immédiatement, faute de quoi, poursuit-il, « Nous riposterons contre votre armée, causant des dommages graves et intenses aux capacités de défense aérienne syriennes comme nous l’avons fait en février et août 2022. » Et effectivement, les expéditions d’équipements militaires vers le Hezbollah en provenance de Syrie s’étaient nettement réduites, Assad ne voulant pas risquer de subir des frappes israéliennes sur une armée dont il savait qu’elle était déjà dans un état difficile. Après le 7 octobre 2023, ce mécanisme a apparemment cessé d’exister, car Israël s’est alors mis à exercer un contrôle total sur les espaces aériens syrien et libanais. Les innombrables frappes israéliennes en Syrie en 2023 et 2024 ont abouti à la décimation des structures militaires iraniennes et liées à l’Iran en Syrie. Tsahal a détruit d’innombrables dépôts d’armes et cargaisons destinées au Hezbollah, frappant à plusieurs reprises les aéroports internationaux de Damas et d’Alep pour perturber les flux d’armes vers les alliés de l’Iran dans la région. En décembre 2023, une frappe israélienne à Damas a tué Seyed Razi Mousavi, un conseiller de longue date du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) en Syrie. Le 1er avril 2024, l’armée israélienne a ciblé la section consulaire de l’ambassade iranienne à Damas, tuant le général Mohammed Zahedi, commandant des forces Quds au Liban et en Syrie, ainsi que son adjoint, un personnage essentiel dans les relations de l’Iran avec le Hezbollah et Assad. En septembre 2024, un raid commando très audacieux a permis à l’armée israélienne de détruire une installation souterraine utilisée par l’Iran et le Hezbollah pour construire des missiles guidés de précision. Il est devenu clair que depuis la guerre déclenchée après le 7 octobre 2023, les activités liées à l’Iran en Syrie étaient associées à des risques insoutenables. Entre début octobre 2023 et jusqu’au renversement du régime du Damas 14 mois plus tard, Israël a frappé la Syrie avec des raids aériens et des attaques d’artillerie plus de 255 fois. Cela comprend 95 frappes contre le Hezbollah en Syrie et 23 frappes israéliennes touchant le CGRI. Ajoutons que pour l’armée iranienne elle-même, il était hors de question d’envoyer des troupes aider Assad. Les attaques israéliennes contre les installations et les bases iraniennes en Syrie, ainsi que l’intensification du conflit entre l’Iran et Israël qui avait nettement accru le risque d’une guerre régionale, rendaient toute idée de ce genre impossible : le coût, pour l’Iran, aurait été beaucoup trop élevé. Sans même tenir compte des contraintes nationales (économie iranienne en berne, mouvement de contestation interne toujours vivace) et des limitations géographiques (l’Iran n’est pas frontalier de la Syrie, et l’attaque de HTC s’est produite dans la partie ouest de la Syrie, la plus éloignée de l’Iran). Téhéran craignait qu’Israël attaquerait violemment toute mobilisation de troupes iraniennes en Syrie. De plus, Israël avait imposé un embargo de fait sur les vols iraniens soupçonnés de transporter des armes atterrissant en Syrie. Début décembre, de nombreux vols d’une compagnie aérienne privée iranienne en route vers Damas ont ainsi été refoulés après qu’Israël eut averti qu’il les abattrait s’ils pénétraient dans l’espace aérien syrien, de la même façon que des vols empruntant le même itinéraire avaient également fait demi-tour en octobre, Israël soupçonnant alors ces avions de transporter des armes destinées au Hezbollah. Alors que l’Iran exploitait en Syrie des usines militaires qu’il utilisait pour transférer des armes à ses milices dans la région, il s’est trouvé incapable de défendre le régime après une année de guerres régionales qui a commencé avec l’attaque du 7 octobre, renonçant à tout ce qu’il avait construit et pour quoi il s’était battu pendant 40 ans en Syrie. Un Hezbollah dévasté De même, les événements de cette dernière année ont eu des conséquences dévastatrices sur le Hezbollah, notamment l’assassinat de son irremplaçable chef historique et de la majeure partie de sa chaîne de commandement, et la destruction de la plupart de ses missiles stratégiques. La guerre a fait environ 5 000 victimes civiles libanaises et jusqu’à 4 000 combattants du Hezbollah. Des milliers d’immeubles et de nombreux villages ont été entièrement détruits. Israël a réussi à complètement démanteler toutes les institutions du mouvement chiite et à décimer ses infrastructures militaires. Dans ce contexte, la défense du régime du Damas n’entrait plus guère dans les priorités du Hezbollah. Ce dernier devait avant tout enterrer les morts, tenter de reconstruire sa structure organisationnelle, remédier aux failles de sécurité qui ont permis les coups durs portés par Israël, reconstituer ses stocks, évaluer ses performances pendant la guerre et enfin répondre aux besoins financiers de ses sympathisants au Liban et établir un plan de reconstruction. En bref, la guerre contre Israël a transformé le Hezbollah, en termes d’efficacité et de préparation, d’un groupe armé régional en un groupe armé local. Ses priorités ont diminué et changé de nature. Alors que les termes exacts de l’accord de cessez-le-feu signé fin novembre entre le Liban et Israël sont restés secrets, on peut estimer sans risque que le Hezbollah a accepté de se conformer à de nombreuses restrictions qui limitent toute ambition régionale. Dans tous les cas, que le Hezbollah aurait été prêt ou non à aller défendre le régime d’Assad en difficulté, il est peu probable qu’il aurait eu les moyens d’arrêter l’avancée de Hayat Tahrir al-Cham (HTC) alors que les forces de celui-ci fondaient sur Alep, puis Hama, Homs et enfin Damas. La rapidité de l’effondrement du régime Baas était inattendue pour tous les observateurs. La passivité des milices irakiennes En Irak, les milices chiites irakiennes (Forces de mobilisation populaire, FMP, organisation qui regroupe les principales milices chiites alliées à l’Iran, qui ont combattu les forces d’opposition en Syrie à partir de 2012 et ont ensuite défendu l’Irak en 2014 contre l’EI) n’ont montré aucun empressement à défendre le régime d’Assad. Là aussi, le contexte post–7 Octobre a créé des contraintes qui ont limité leurs choix. Les groupes armés irakiens ayant multiplié leurs attaques contre Israël en signe de solidarité avec le Hezbollah et le Hamas, l’Irak semblait sur le point de devenir une nouvelle fois la cible des forces aériennes israéliennes. Il a été rapporté qu’Israël a directement menacé d’attaquer l’Irak à plusieurs reprises au cours des trois derniers mois. Le 18 novembre, le ministre israélien des Affaires étrangères Gideon Saar a appelé le Conseil de sécurité de l’ONU à « agir de toute urgence » pour que l’Irak fasse cesser les attaques de drones contre Israël perpétrées depuis son territoire par des « milices pro-iraniennes », laissant entendre que sans cela une action israélienne était imminente. Seuls les efforts diplomatiques des États-Unis ont permis d’empêcher une attaque massive d’Israël contre les milices irakiennes. Si celles-ci avaient envoyé des combattants en Syrie (se rapprochant ainsi du territoire israélien), le risque de voir les forces israéliennes les attaquer aurait sans doute encore nettement augmenté. Au niveau national, l’avancée du groupe islamiste HTC en Syrie a rappelé aux Irakiens l’année 2014, quand les djihadistes de l’État islamique avaient envahi le nord et l’ouest de l’Irak depuis la Syrie, tuant des dizaines de milliers de personnes. Pour autant, il a été jugé préférable de ne pas aller combattre HTC en Syrie mais de sécuriser la frontière : le gouvernement irakien a assuré que ses frontières avec la Syrie étaient désormais fortifiées et que l’armée et les FMP étaient en état d’alerte maximale. Le chef des FMP a, de son côté, souligné le caractère national de sa force, confirmant qu’elle faisait désormais partie des forces armées irakiennes et qu’elle ne reçoit d’ordres directs que du premier ministre, le commandant en chef des forces armées. Le refus des factions irakiennes d’envoyer des troupes reflète un changement de leurs priorités. Alors qu’elles sont de plus en plus impliquées dans la politique nationale et le développement du pouvoir économique, risquer leur légitimité nationale et constitutionnelle en envoyant des troupes hors d’Irak aurait été un risque énorme qui n’en valait pas la peine compte tenu de la rapidité avec laquelle les événements se sont déroulés. Elles préfèrent entretenir leur influence croissante en Irak, étendre leurs efforts pour capturer les institutions de l’État, tout en renforçant leur capacité à écarter leurs rivaux politiques et à asseoir leur emprise économique sur le pays. Un axe de la résistance en lambeaux L’Axe semble fragmenté et en désordre après la mort de Nasrallah, comme s’il avait été le ciment qui liait tous ces groupes. Assad était devenu coûteux à défendre. Sa chute constitue, certes, une menace pour les intérêts stratégiques iraniens et pour l’axe de résistance, mais sa valeur stratégique avait nettement baissé. Si la perte de Damas perturbe gravement, voire met fin, au canal de ravitaillement du Hezbollah, les risques opérationnels liés à de telles opérations étaient devenus intenables. De plus, l’accord de cessez-le-feu au Liban a créé pour le Hezbollah une réalité nouvelle, où il a dû renoncer à tout rôle régional. Les mois à venir montreront si l’Iran saura adapter sa stratégie à la nouvelle réalité syrienne, ou si la chute d’Assad aura mis un point final à ses ambitions en Syrie et peut-être même dans l’ensemble du Proche-Orient…( source The Conversation ) Publié par Dominique Manga dans
Auteur Hussein Abou Saleh Docteur associé au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), Sciences Po

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