Cancers de l’ovaire et du larynx : les victimes oubliées de l’amiante

L’amiante a été au cœur d’un vaste scandale sanitaire, dans les années 1990 notamment, alors que l’on prenait conscience des risques pour la santé qui lui étaient associés. Classé cancérogène depuis 1977, il est interdit en France depuis 1997. On sait en effet désormais, de façon sûre, que l’exposition aux fibres d’amiante est à l’origine de cancers du poumon (cancers broncho-pulmonaires) et de cancers de la plèvre (mésothéliomes), la double membrane qui enveloppe les poumons et tapisse l’intérieur de la cavité thoracique. Mais cette substance est également à l’origine de cancers du larynx et de l’ovaire. Or, si ce lien est connu, des scientifiques, ni les médecins spécialistes de ces pathologies, ni le grand public ne sont véritablement informés sur ce sujet. Cette méconnaissance a largement contribué à la sous-déclaration de ces deux types de cancers dans le cadre de la reconnaissance des maladies professionnelles. Autre conséquence : le suivi médical des travailleurs et travailleuses exposés à l’amiante est incomplet. Cette situation est d’autant plus problématique que les secteurs les plus connus comme exposant à l’amiante, et qui sont donc les plus étudiés, emploient une majorité d’hommes. Eut égard aux risques au niveau des ovaires, qu’en est-il de l’exposition des femmes dans d’autres secteurs à risque ? Quel est l’impact sur la santé de ces dernières ? Dans un rapport récent, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) fait le point sur cette question. Qu’est-ce que l’amiante ? Interdit en France depuis 1997, l’amiante avait été utilisé depuis la fin du XIXe siècle dans de nombreux secteurs d’activité. « Amiante » est un terme générique qui désigne six minéraux naturels, de type silicates hydratés (silicates de magnésium et de fer) fibreux, répartis en deux groupes qui se distinguent par leurs propriétés physiques et chimiques : les serpentines (aux fibres longues, flexibles et recourbées) et les amphiboles (aux fibres droites, raides et généralement cassantes). Fibre d’amiante au microscope électronique C’est l’inhalation des fibres d’amiante (ici serpentine) qui est à l’origine des cancers (analyse en laboratoire, vue en MET). Pvince73/Shutterstock Sa valeur commerciale lui est conférée par différentes propriétés particulières, dont une faible conductivité électrique et thermique, une bonne stabilité chimique, une durabilité, une haute résistance à la traction, une flexibilité, etc. Mais si ses atouts physiques ont vite été compris et exploités, ses effets sur la santé ont longtemps été sous-estimés. Encore aujourd’hui, médecins et malades sont insuffisamment informés, ce qui entraîne une sous-déclaration et la sous-reconnaissance des cancers – notamment de l’ovaire et du larynx en maladies professionnelles. Le pharynx et l’ovaire : deux cibles méconnues de l’amiante Dans son rapport publié en septembre 2022, l’Anses recommande une meilleure information des médecins et un meilleur accompagnement social, médical et administratif des travailleurs et travailleuses exposés à l’amiante et atteints d’un cancer du larynx ou de l’ovaire (ainsi que leurs ayants droit), pour les aider dans leurs démarches de déclaration et de reconnaissance en maladies professionnelles. L’audition de médecins spécialistes du cancer de l’ovaire dans le cadre de cette expertise a permis de renseigner les limites de la diffusion des connaissances scientifiques, même parmi les médecins spécialistes. Il est apparu que le cancer de l’ovaire était aujourd’hui très peu connu comme pouvant être associé à des facteurs de risque professionnels. Le cancer du larynx est, quant à lui, plus connu pour son lien avec des facteurs tels que la consommation de tabac ou d’alcool, masquant ainsi le rôle possible de l’amiante. Les médecins ne sont pas les seuls à méconnaître ces relations : il en est de même de la population. Par conséquent, les malades eux-mêmes ne font pas le lien entre leur travail et leur maladie. Bien entendu, d’autres facteurs, non spécifiques des cancers de l’ovaire et du larynx comme de l’amiante (complexité des démarches administratives, manque de moyens de la médecine du travail, difficulté à tracer les expositions professionnelles…) participent également de cette sous-déclaration et cette sous-reconnaissance en maladie professionnelle. Des risques d’exposition qui existent toujours Malgré l’interdiction en 1997 en France, des expositions restent possibles car de l’amiante est toujours présent dans de nombreux produits et matériaux de notre environnement (bâtiments anciens, murs, sols avec des dalles en vinyle-amiante). Les professionnels en contact avec de tels matériaux anciens se trouvent, de fait, exposés à l’amiante. En dépit de la quantité importante de données, l’évaluation des expositions professionnelles à l’amiante n’est que partiellement étudiée, d’une part en termes de secteurs d’activité, d’autre part en termes de genre. Le récent rapport pointait les secteurs exposant ou ayant exposé à l’amiante. Les plus documentés sont désormais bien identifiés : il s’agit notamment du BTP, de la métallurgie ou de la construction automobile. Mais de très nombreux autres secteurs sont également impactés et sont, eux, bien moins connus : l’administration, l’entretien, l’enseignement, la santé, mais aussi le textile… De plus, ces secteurs sont peu étudiés dans la littérature scientifique. Or, une de leurs spécificités est qu’ils emploient majoritairement des femmes : ce qui limite l’évaluation des expositions à l’amiante chez ces dernières et les risques encourus. Echantillons d’amiante prélevés dans une ancienne école maternelle De très nombreux sites sont encore contaminés à l’amiante, et peuvent toucher des publics très différents de ceux habituellement considérés comme à risque. L’administration, la santé ou encore l’enseignement sont ainsi sous-estimés, et ce sont souvent des secteurs où les femmes sont majoritaires. Leitenberger Photography/Shutterstock Un manque de données dangereux pour les femmes En effet, les femmes étant moins représentées que les hommes dans les secteurs d’activité connus pour être exposant à l’amiante, il est plus difficile de disposer de données permettant de documenter leurs expositions. C’est pourquoi les travaux menés par l’Anses ont conduit à la formulation de recommandations en faveur d’une meilleure identification et caractérisation de l’exposition des femmes à l’amiante. Il est en effet nécessaire de disposer de davantage de données sur les secteurs, professions et travaux exposant ces dernières à ce risque ainsi que de données quantitatives permettant de mieux caractériser leur exposition. L’Anses recommande également d’améliorer l’information à destination des femmes quant à la possibilité de survenue d’un cancer de l’ovaire lié à une exposition professionnelle à l’amiante. Créer un nouveau tableau des maladies professionnelles Le travail d’expertise de l’Agence a permis de confirmer, sur la base de la monographie 100C du CIRC, mais également des méta-analyses et articles publiés par la suite, l’existence d’un lien causal avéré entre l’exposition à l’amiante et la survenue des cancers du larynx et de l’ovaire. L’ensemble de ces éléments scientifiques plaident en faveur de la création de tableaux de maladies professionnelles permettant de faciliter la reconnaissance de ces cancers en maladies professionnelles et ainsi, l’indemnisation des malades ou des ayants droit. La création de ces tableaux permettrait de faciliter les démarches de reconnaissance en maladies professionnelles, mais également d’informer les médecins, ainsi que les travailleurs et travailleuses exposés à l’amiante des risques qu’ils encourent.(source The Conversation) Publie par Dominique Manga dans
Cancers de l’ovaire et du larynx : les victimes oubliées de l’amiante Publié: 20 avril 2023, 17:59 CEST auteur Alexandra Papadopoulos épidémiologiste - pilote de la mission "Expertises des maladies professionnelles", Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses Dominique Brunet (docteur et ingénieur en chimie, cheffe de l’unité Évaluation des valeurs de référence et des risques des substances chimiques à l’Anses), Diane Le Bayon (docteur et spécialiste « Chimie, environnement et santé », coordinatrice d’expertise scientifique à l’Anses), Miora Andrianjafimasy (docteur en épidémiologie, coordinatrice d’expertises scientifiques à l’Anses) Odile Kerkhof (ingénieur toxicologue, coordinatrice d’expertises scientifiques à l’Anses) et Charlotte Léger (pharmacienne, coordinatrice d’expertises scientifiques à l’Anses) ont également participé à la rédaction et la relecture de cet article.

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