Sauver le climat et la biodiversité, comment être solidaire et aider les pays les plus pauvres à trouver des fonds ?
Des objectifs d'aide pour la transition climatique émanant des pays riches et en direction des pays pauvres ont été réaffirmé lors de la Cop27 qui s'est tenue en Égypte en novembre 2022. Joseph Eid / AFP
En 28 ans de discussions sur le climat (depuis Berlin en 1995) et un peu plus sur la biodiversité (depuis Nassau en 1994), le moins que l’on puisse dire est que les avancées côté finance semblent lentes, très lentes. Le secteur hoquette bien un peu, verdit ici ou là quelques actifs, mais la tendance ne s’inverse pas. La finance n’est toujours pas au rendez-vous de son siècle.
Le doute scientifique n’existe plus sur le fait que le changement climatique et la perte de la nature sont directement liés au mode de vie et de consommation contemporains. À technologie inchangée, il n’est pas possible à l’ensemble de l’humanité de consommer autant de ressources naturelles et d’émettre autant de CO2 qu’un occidental moyen en 2023. Il est acté de plus que la question climatique et celle de la biodiversité sont « le grand problème d’action collective du monde ». Aucun pays ne pourra résoudre la question tout seul.
Il fait aussi consensus que la question sociale, et plus précisément l’équité, est déterminante pour la faisabilité des politiques publiques. Les solutions favorables au climat et à la nature, quand elles doivent se traduire par des diminutions de consommation, de mobilité ou de niveau de vie, ne sont pas socialement acceptées.
Il a également été bien identifié que chaque pays, comme chaque individu, estime que ses émissions sont légitimes. Ce serait aux autres de faire des efforts pour limiter leur empreinte environnementale. La situation rappelle le paradoxe de Mancur Olson, selon lequel un grand groupe peut rester paralysé dans ses actions même s’il existe un consensus sur les objectifs et les moyens. Chaque individu imagine qu’il n’est qu’une petite goutte d’eau. Son action individuelle isolée ne lui rapportera rien, tandis que s’engager représente un coût immédiat. Il est donc peu probable que les choses évoluent sous l’effet de la simple bonne volonté.
Qui doit payer pour quoi ?
Pour cadrer les capacités de notre planète, un choix symbolique a été opéré par les États autour de deux objectifs simples, qui font figures de mantras : limiter la hausse des températures moyennes à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et protéger 30 % des terres et 30 % des mers. En l’absence de projet de sobriété, toutes les solutions passent par l’appel à un programme massif d’investissements « durables ». Les dernières conférences des parties (COP) qui se sont tenues en 2022 sur le climat en Egypte et sur la biodiversité au Canada ont d’ailleurs insisté sur ce point : la question du financement est devenue un élément central du débat international.
dec COP Sec Gen Media.En décembre 2022, les pays les plus riches se sont engagés à doubler leur soutien auprès des pays en développement pour financer la protection de la biodiversité, pour atteindre 20 milliards par an en 2025, CC BY-SA
Celle-ci fait l’objet d’antagonismes. Si l’on schématise un peu, les pays « riches » ont internalisé une réalité contemporaine : ils constatent que les pays émergents, dont la Chine et l’Inde, suivent à la trace le modèle de développement productiviste et consumériste. Il faut donc que la question climatique comme celle de la biodiversité prenne un caractère universel, et ne soit pas limitée à leur propre rétropédalage. C’est d’ailleurs ce qui avait fait consensus en 2015 et qui a permis la signature de l’accord de Paris sur le climat et celui de New-York sur les Objectifs du développement durable (ODD). Tout le monde est concerné, chaque pays a son propre chemin de transition à inventer.
Les pays « pauvres », regroupés dans la coalition « G77 + Chine » ne rejettent pas les accord de 2015. Ils souhaitent cependant que les pays à hauts revenus acceptent une certaine responsabilité historique. Peu émetteurs et déjà confrontés à une dette élevée, ils réclament des financements additionnels, en dons ou à des conditions favorables, pour investir et s’adapter aux profonds changements qui s’annoncent.
Gros billet ou petite monnaie ?
A Copenhague, en 2009, Les négociateurs des COP pour le volet financier, ont obtenu l’engagement des pays les plus riches de mobiliser à destination des pays les plus pauvres chaque année 100 milliards de dollars publics et privés pour le Climat à partir de 2020, promesse qui devrait finalement être honorée cette année.
L’objectif a, en tout cas, été réaffirmé lors de la COP 27 qui s’est tenue en novembre 2022 à Charm el-Cheikh en Egypte. A Montréal, en décembre dernier ont été promis 20 milliards pour la biodiversité à partir de 2025, 30 à partir de 2030. Ces montants viendraient s’ajouter à ceux de l’Aide Publique au Développement (APD) qui se fixe à 204 milliards en 2022.
Ces chiffres peuvent sembler élevés. Néanmoins, selon les économistes de l’Agence internationale de l’énergie ou du Black Rock Investment Institute, il faudrait mille milliards de dollars d’investissements par an dans les renouvelables dans les seuls marchés émergents, hors Chine, contre environ 150 milliards investis actuellement. On peut citer également les estimations de l’OCDE à 6 900 milliards de dollars annuels pour les infrastructures, celles du Fonds Monétaire International qui atteignent entre 3 000 et 6 000 milliards USD par an ou plus récemment celle d’un groupe d’experts indépendants commissionnés par la Présidence de la COP27, qui conclue également autour du chiffre de mille milliards par an.
Du côté des institutions financières, le total des actifs détenus représente environ 500 000 milliards de dollars.Celui des ménages, qui en est un sous-ensemble, incluant les dépôts bancaires et les placements, s’établit en 2021 à environ 35 000 milliards pour les seuls pays européens. Ces chiffres sont des stocks, et c’est leur conversion en objets de consommation ou en nouveaux investissements qui les transforment en flux.
Pour faire évoluer notre relation avec la nature, quelle serait donc la priorité ? Se concentrer sur 120 milliards au bénéfice des pays les plus pauvres, et mille milliards dans les renouvelables, ou bien s’appliquer à rediriger 500 000 milliards d’actifs vers des objets durables, y compris la lutte contre pauvreté ? Si 2 % des actifs mondiaux devenaient durables chaque année, ce seraient 10 000 milliards qui s’orienteraient dans une bonne direction, soit vingt fois plus. L’ambition peut-elle se limiter à financer quelques éoliennes supplémentaires, ou doit-elle embarquer l’ensemble des flux financiers vers la durabilité ?
Des outils complémentaires
Deux politiques publiques complémentaires semblent en fait à promouvoir pour répondre à cette ambition.
La première reste bien celle de la solidarité internationale. Elle appelle à ajouter à l’Aide Publique au Développement les 120 milliards de dollars annuels mentionnés plus haut (100 pour le climat et 20 pour la biodiversité), que réclament les pays moins avancés afin de devenir acteurs de leur adaptation et de leur transition. Même si les montants restent proportionnellement très marginaux au regard des actifs financiers mondiaux, cela demeure probablement une condition nécessaire pour un dialogue mondial renouvelé et inclusif.
La deuxième concerne tous les acteurs, publics et privés, dans tous les pays. Elle appelle à une refonte de normes financières afin de réorienter les flux, tous les flux, vers des usages et des investissements qui passent les tests de durabilité. C’est tout l’esprit de la taxonomie verte européenne, du renforcement des normes extra-financières promues par le Groupe Consultatif sur l’Information Financière (EFRAG en anglais) ou du réseau des Banques Centrales pour le verdissement de la finance.
Comme je le souligne dans mon livre pédagogique illustré Financer notre futur commun, c’est peut-être ainsi que l’arc-en-ciel des Objectifs du développement durable prendra son véritable sens. C’est bien à une coalition de tous les acteurs qu’appelle l’ODD17 sur le « partenariat » .source The Conversation Publie par Dominique Manga dans Auteur Régis Marodon
Conseiller senior sur la finance durable, Agence française de développement (AFD)
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