Pourquoi huiles essentielles et antibiotiques ne font pas toujours bon ménage

Inhalées, ingérées, appliquées sur la peau… Les huiles essentielles agrémentent le quotidien de nombreuses personnes. Pourtant, ces substances ne sont pas anodines. Des travaux récents démontrent notamment que certaines d’entre elles, comme les huiles essentielles de cannelle et de citronnelle, peuvent interférer avec l’usage des antibiotiques. La résistance des bactéries aux antibiotiques, ou antibiorésistance, est un sujet d’inquiétude majeur, au point que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a adopté un plan d’action mondial pour combattre ce fléau, Mais la mise au point de nouveaux antibiotiques destinés à remplacer ceux devenus inefficaces n’est pas si simple, pour plusieurs raisons, toujours selon l’OMS : manque d’investissements privés, innovation en berne, produits en développement n’apportant pas suffisamment d’avantages par rapport aux antibiotiques existants, développement trop rapide de résistances bactériennes… Dans un tel contexte, on constate un intérêt pour l’exploration de certains traitements traditionnels basés sur des substances perçues comme « naturelles », non seulement de la part de la communauté scientifique, mais aussi du personnel soignant et de la population générale. Les huiles essentielles retiennent notamment l’attention, car un certain nombre d’entre elles sont dotées de propriétés antimicrobiennes. Un constat qui fait s’interroger sur la possibilité de les utiliser seules ou en association avec des antibiotiques. Toutefois, comme souvent, la réalité est complexe et, au-delà de la question de leur efficacité réelle, certaines d’entre elles peuvent interférer avec l’usage des antibiotiques, comme l’ont montré nos travaux menés sur la bactérie pathogène Pseudomonas aeruginosa. Explications. Les huiles essentielles, efficaces contre les bactéries ? Selon une revue de la littérature scientifique publiée en 2019, sur les quelques 250 huiles aujourd’hui commercialisées, une douzaine (lavande, thym, cannelle, arbre à thé, menthe, eucalyptus, sauge, clou de girofle, cajeput…) présente des propriétés antimicrobiennes intéressantes, qu’elles soient antifongiques, antivirales ou antibactériennes. Soulignons que ces huiles n’ont pas toutes la même efficacité et qu’elles ne sont pas actives sur les mêmes microorganismes. Par exemple, les bactéries à Gram positif semblent plus sensibles aux huiles essentielles que les bactéries à Gram négatif, décrites par l’OMS comme étant les plus hautement résistantes. Enfin, même si l’activité antimicrobienne des huiles essentielles est scientifiquement établie, leur effet est beaucoup plus modeste que celui des antibiotiques, et les concentrations utilisées doivent être très supérieures. Parmi les bactéries à Gram négatif les plus problématiques figure, à l’heure actuelle, Pseudomonas aeruginosa, qui est en quelque sorte l’archétype des bactéries résistantes pointées par l’OMS. Pseudomonas aeruginosa, une redoutable bactérie opportuniste Grâce à un génome particulièrement grand, P. aeruginosa est capable d’adapter son métabolisme à de nombreux environnements, une caractéristique qui lui permet de coloniser des milieux très variés voire hostiles. On la trouve ainsi fréquemment dans les sites humides anthropisés, tels que les siphons d’éviers, les canalisations ou même les piscines. À partir de ces réservoirs, cette bactérie colonise l’être humain et peut provoquer des infections aiguës ou chroniques chez les personnes présentant des prédispositions : patients immunodéprimés, dénutris, atteints de cancer, brûlés, polyopérés, polytransfusés, intubés-ventilés… Ce biofilm bactérien est formé de millions de cellules de Pseudomonas aeruginosa. Cette organisation leur permet de coopérer les unes avec les autres, de s’adapter aux changements de leur environnement et d’assurer leur survie. Chaque année, P. aeruginosa est responsable de plus de 700 000 infections nosocomiales rien qu’aux États-Unis. Scott Chimileski and Roberto Kolter, Harvard Medical School, Boston P. aeruginosa est non seulement responsable d’infections associées aux soins, mais aussi d’infections pulmonaires chroniques chez les patients atteints de mucoviscidose ; elle y trouve en effet un terrain propice à son développement, entraînant le déclin de leur fonction respiratoire et réduisant leur espérance de vie. Une championne de la résistance aux antibiotiques Actuellement, la seule stratégie pour traiter les infections à P. aeruginosa consiste en la prise d’antibiotiques incluant un petit nombre de molécules souvent anciennes (aminosides, β-lactamines, fluoroquinolones et polymyxines). Malgré l’efficacité clinique prouvée de ces traitements et le développement récent de nouvelles molécules, l’antibiothérapie peut être mise à mal en raison de l’émergence de mutants résistants. P. aeruginosa dispose en effet de nombreux mécanismes de résistance : la production d’enzymes inactivatrices d’antibiotiques ou la modification de la cible des antibiotiques (qui empêchent leur fonctionnement), la diminution de la perméabilité membranaire (qui limite l’entrée des antibiotiques dans la bactérie), ou la surproduction de systèmes d’efflux (qui permettent à la bactérie de rejeter les antibiotiques dans le milieu extérieur). En plus de ces mécanismes intrinsèques, les bactéries peuvent développer des résistances supplémentaires, soit par l’acquisition d’ADN provenant d’autres bactéries, soit par mutation. En raison de ces résistances, P. aeruginosa est considéré aujourd’hui comme un pathogène opportuniste redoutable, et la recherche d’alternatives thérapeutiques aux antibiotiques conventionnels est encouragée dans les programmes de recherche. Les huiles essentielles, une arme à double tranchant Selon plusieurs enquêtes menées entre 2019 et 2023, au moins un quart des patients atteints de mucoviscidose déclarent consommer des huiles essentielles, afin d’améliorer leurs conditions de vie, souvent en parallèle à leur traitement antibiotique. Dans ce contexte, il est donc particulièrement important de comprendre comment interagissent antibiotiques et huiles essentielles. Il s’agit notamment de détecter d’éventuelles synergies, qui pourraient améliorer l’efficacité des traitements pris par les patients ; ou, à l’inverse, de mettre en évidence des antagonismes qui la diminuerait. C’est, malheureusement, ce second type d’interactions qu’ont révélé les récents travaux menés dans notre laboratoire (thèse de doctorat, Alexandre Tetard). En étudiant les effets de l’huile essentielle de cannelle et, plus particulièrement, de son composé majoritaire le cinnamaldéhyde, sur P. aeruginosa, nous avons constaté que cette substance induisait l’expression de quatre pompes d’efflux différentes chez cette bactérie. Un arbuste de cannelle L’huile essentielle de cannelle accroît la résistance aux antibiotiques des bactéries Pseudomonas aeruginosa. wasanajai/Shutterstock Comme leur nom l’indique, ces structures situées dans la membrane bactérienne agissent comme de minuscules pompes : elles permettent d’évacuer certains composés toxiques, dont les antibiotiques. Une capacité qui rend P. aeruguinosa résistante à quasiment tous ceux actuellement utilisés… Ce système de défense fonctionne de la façon suivante : les bactéries sont équipées de différents « capteurs » capables de détecter la nature des stress provoqués par les huiles essentielles et d’orchestrer la mise en place de la réponse physiologique la plus adaptée. P. aeruginosa, par exemple, est équipée de deux capteurs capables de détecter l’extrait de cannelle, comme l’a démontré Éline Dubois au cours de sa thèse de doctorat. Une fois activés, ils induisent la production d’une ou de plusieurs pompes d’efflux capables de rejeter dans le milieu extérieur, non seulement, les composés toxiques contenus dans l’huile essentielle, mais aussi certains antibiotiques, s’ils sont utilisés en même temps. Schéma du système d’efflux qui permet à la bactérie P. aeruginosa de se défendre contre les huiles essentielles et des antibiotiques. Les mécanismes de défenses déclenchés par les huiles essentielles permettent aussi à la bactérie P. aeruginosa de rejeter les antibiotiques. DR - author provided - schéma généré grâce à Biorender, Fourni par l'auteur Ce type de mécanisme n’est pas limité à l’huile essentielle de cannelle. Nos travaux menés sur le citral, un composé majoritaire présent dans l’huile essentielle de citronnelle, ont révélé que cette substance induisait l’activité de deux systèmes d’efflux différents, augmentant la résistance de P. aeruginosa à deux grandes familles d’antibiotiques. Certains composés contenus dans les huiles essentielles peuvent donc induire différents mécanismes de défense chez les bactéries, dont certains s’avèrent être une source de résistance aux antibiotiques. Photo d’un test d’antibiorésistance. Effets de l’ajout d’un antibiotique (à gauche) ou d’un mélange du même antibiotique et de citral (à droite) à une culture de bactéries P. aeruginosa. Le disque sombre sur l’image de gauche correspond à une zone sans bactéries : leur pousse a été inhibée dans la zone de diffusion de l’antibiotique. À droite, les mécanismes d’efflux activés par le citral ont permis aux bactéries d’éliminer l’antibiotique. Catherine Llanes, Fourni par l'auteur Par ailleurs, des recherches menées avec les chimistes Gaëtan Mislin et Jean-Michel Brunel, des universités de Strasbourg et d’Aix-Marseille, ont aussi montré que certains composés naturels comme le citral forment des liaisons irréversibles avec les antibiotiques, ce qui les inactive totalement. L’activité des huiles essentielles est transitoire Nos travaux indiquent que tous les mécanismes développés par P. aeruginosa pour résister à l’activité des huiles essentielles ne sont que transitoires. La véritable stratégie mise en place par la bactérie pour résister à long terme à ces composés naturels qu’elle a l’habitude de côtoyer dans la nature n’est pas de les rejeter à l’extérieur, mais plutôt de les transformer chimiquement en molécules non toxiques (on parle de « métabolisation »). Cette transformation chimique est rapide : ces composés disparaissent après quelques heures de contact avec les bactéries, ce qui permet à ces dernières de reprendre leur multiplication. Ce constat nous encourage à développer, en collaboration avec les phytochimistes, Corine Girard, Marc Pudlo et François Sénejoux de l’Université Marie-et-Louis-Pasteur, des dérivés de composés naturels impossibles à métaboliser par les bactéries ; avec l’espoir qu’ils gardent une activité antibactérienne à plus long terme. Continuer les recherches pour mieux utiliser les huiles essentielles Pour conclure, soulignons que l’objectif de ces travaux n’est pas de déconseiller l’usage thérapeutique des huiles essentielles, car ces molécules naturelles peuvent) [montrer une activité intéressante] en application locale, par voie orale ou par inhalation. De plus, même si leur efficacité est 100 à 1 000 fois moindre que celle des antibiotiques, elles présentent, contrairement à ces derniers, l’avantage de ne pas sélectionner de mutants résistants. L’identification les huiles essentielles dont l’action peut se révéler antagoniste à celle des antibiotiques doit donc être poursuivie et communiquée aux patients, aux associations de malades telles que Vaincre la Mucoviscidose (qui soutient nos recherches), mais aussi au personnel soignant, dans la mesure où elle permet d’éviter des associations malheureuses ( source The Conversation ) Punlié par Dominique Manga
AUTEURS Catherine Llanes Professeur en microbiologie, Université Marie et Louis Pasteur (UMLP)

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