Jimmy Carter : président, pasteur et prophète
Outsider à Washington, l’ancien cultivateur de cacahuètes devenu gouverneur de Géorgie avait gagné la nomination démocrate et la Maison Blanche à la hussarde en 1976. Mais son mandat fut difficile et il ne fut pas réélu en 1980, battu par Ronald Reagan, notamment parce que c’est vers ce dernier que se tournèrent alors les électeurs évangéliques, dont Carter se réclamait et dont la vision du monde était, à ses yeux, compatible avec le progressisme social.
Jimmy Carter, disparu à l’âge de 100 ans, est l’un des rares anciens présidents des États-Unis à avoir été autant célébré de son vivant. Sa remarquable longévité a fait de lui le chef d’État américain qui a vécu le plus longtemps, qui a été marié le plus longtemps (76 ans) et qui a eu la plus longue post-présidence (43 ans). Surtout, Carter a su mettre à profit ces 43 dernières années en se consacrant à l’action humanitaire, à la résolution pacifique des conflits, à l’observation des élections dans de nombreux pays, à la défense et l’avancée des droits humains, à l’éradication des maladies et à la protection de l’environnement par le biais de sa Fondation.
En 2002, consécration ultime, il reçoit le prix Nobel de la paix. Si l’action de l’ex-président a marqué les esprits, c’est moins le cas pour les quatre années qu’il a passées à la Maison Blanche – même si, dernièrement, certains spécialistes ont réévalué sa présidence de façon plus positive. Ce qui est certain, c’est que Jimmy Carter, seul président à la fois chrétien évangélique, progressiste du Sud et démocrate de centre gauche, aura été une figure d’exception.
La foi chrétienne évangélique comme fil conducteur
Toute l’action de James Earl Carter, Jr. doit se lire à l’aune de sa foi baptiste du Sud évangélique, à la suite d’une expérience de conversion personnelle à la quarantaine. Il sera d’ailleurs le premier président de l’ère moderne à s’exprimer si ouvertement sur sa foi.
En se présentant à l’élection présidentielle de 1976 comme « born again christian » (chrétien né de nouveau) selon la formule utilisée par les évangéliques, il déclare que « la chose la plus importante » pour lui est Jésus-Christ, et évoque volontiers sa croyance dans l’autorité de la Bible en tant que révélation de Dieu à l’humanité (inerrance biblique).
Si aujourd’hui les évangéliques blancs (à ne pas confondre avec « les évangélistes », auteurs des Évangiles canoniques) sont principalement associés à la droite et au Parti républicain, ce n’était pas encore le cas dans les années 1970. Ce mouvement religieux, peu connu du grand public à l’époque, restait en marge de la vie politique et était traversé par des divisions entre fondamentalistes et progressistes.
La déclaration de Chicago, publiée en 1973, sera le document fondateur d’Evangelicals for Social Action, un groupe de réflexion qui cherche à développer des solutions bibliques aux problèmes sociaux et économiques en développant des programmes articulant foi et justice sociale. Cliquer pour zoomer. Wheaton Archives & Special Collections
Jimmy Carter, influencé notamment par le théologien Reinhold Niebuhr, appartenait à la seconde catégorie. La tradition de l’évangélisme progressiste et socialement réformiste du XIXe siècle faisait son grand retour dans les années 1970 comme l’illustre, par exemple, la déclaration de Chicago sur la préoccupation sociale évangélique de 1973, texte influent appelant à rejeter le racisme, le matérialisme économique, le militarisme et le sexisme.
C’est dans le contexte post-guerre du Vietnam et post- Watergate qu’il faut comprendre l’attrait qu’a exercé sur les États-Uniens un candidat relativement inconnu au plan national, gouverneur depuis 1970 d’un État du Sud, la Géorgie, et cultivateur de cacahuètes, un homme qui ne venait pas de la coterie washingtonienne et promettait un gouvernement qui soit « aussi honnête, décent, juste, compétent, sincère et idéaliste que le peuple américain ». Le 2 novembre 1976, il est élu contre le président sortant, le Républicain Gerald Ford. Il demeure à ce jour le dernier candidat démocrate à avoir remporté à la fois la majorité des États du Sud et la majorité des comtés du pays.
Un président moraliste et visionnaire
Le candidat Jimmy Carter est favorable à une couverture de soins de santé universelle, propose de réduire les dépenses militaires et dénonce le code des impôts comme étant « un programme d’aide sociale pour les riches ».
L’une de ses premières décisions en tant que président est de réaliser l’une de ses promesses de campagne les plus controversées, celle de gracier les déserteurs de la guerre du Vietnam.
Carter est pourtant originaire d’une Géorgie où les sentiments racistes sont encore très sensibles. D’ailleurs, il avait flirté avec les ségrégationnnistes lors de son élection au poste de gouverneur en 1970 ; mais dès celle-ci remportée, il annonce, que « le temps de la discrimination raciale est terminé » et se positionne ensuite clairement contre la ségrégation lors de son mandat de gouverneur (1971-1975).
En tant que président (il est investi le 20 janvier 1977), il n’hésite pas à nommer de nombreux représentants des minorités ethniques, ainsi que de nombreuses femmes, à des postes élevés, proposant notamment avec succès les candidatures d’une femme noire, Amalya Lyle Kearse, et d’une femme juive, Ruth Bader Ginsburg, à la Cour d’appel du second circuit, véritable marchepied pour la Cour suprême, que Ginsburg intégrera d’ailleurs en 1993.
Son engagement chrétien pour la justice et pour la paix se reflète également dans sa volonté de placer les droits humains au centre de sa politique étrangère, ou bien encore dans sa politique de promotion de la paix au Moyen-Orient, qui donnera lieu au plus grand succès de sa présidence : les accords de Camp David entre Israël et l’Égypte en 1978.
Moins connue mais remarquable pour l’époque est sa défense de l’environnement, qui va au-delà d’une simple réponse stratégique à la crise énergétique. Il impose des normes de rendement énergétique aux automobiles, créé onze parcs nationaux, doublant ainsi la superficie protégée, signe une loi sur la nature sauvage américaine menacée (Endangered American Wilderness Act, 1978) et installe sur le toit de la Maison Blanche des panneaux solaires qui seront retirés ensuite par Ronald Reagan.
L’idéalisme face à la dure réalité du monde
De façon tout aussi remarquable, son célèbre discours sur la « crise de confiance » du 15 juillet 1979, connu sous le nom de « discours du malaise » bien qu’il n’ait jamais utilisé ce mot, tient davantage du sermon que du discours politique et prend, avec le recul, un caractère quasi prophétique.
Il y reconnaît ses échecs, dénonce la crise de la démocratie américaine, constate la perte de confiance des citoyens dans les institutions, et déplore le matérialisme, critiquant les excès de la société de consommation en termes quasi apocalyptiques, tout en réaffirmant sa foi dans l’esprit américain.
Ce discours est initialement un succès qui fait bondir sa cote de popularité de plus de 11 points. Deux jours plus tard, il ordonne la démission de tous les membres de son Cabinet, puis semble ensuite faire volte-face, en acceptant d’en limoger seulement cinq qu’il considérait comme inefficaces, déloyaux, ou des boulets politiques, à l’approche des élections. La confusion et le désarroi qui s’ensuivent provoquent son effondrement dans les sondages.
L’inflation, le chômage élevé, la crise énergétique et celle des otages américains capturés en Iran, avec une tentative d’opération militaire de récupération ratée, précipiteront sa chute.
Entre une gauche critique et l’opposition de la droite chrétienne
Malgré son engagement public, Carter croyait fermement à la séparation de l’Église et de l’État et estimait que ce dernier ne devait jamais montrer de préférence pour une foi religieuse.
C’est ainsi contre sa politique, jugée trop laïque, que les évangéliques fondamentalistes ont constitué une force d’opposition politique par le biais d’organisations comme la « Majorité morale » du télévangéliste Jerry Falwell. Ils se sont alliés à Ronald Reagan, pourtant peu pratiquant, avec qui ils partageaient un anticommunisme farouche, une volonté de limiter le pouvoir de l’État fédéral et une opposition aux changements sociétaux modernes, notamment sur les questions d’intégration et de sexualité.
Carter a également perdu le soutien de l’aile gauche de son parti, y compris de certains évangéliques progressistes qui jugeaient sa politique trop centriste.
Un président transitionnel de fin de régime
Sa politique a en effet brouillé les cartes. D’un côté, il a dérèglementé les secteurs de la banque, du pétrole et des transports, s’opposant aux syndicats au nom de la fin des monopoles. D’un autre, il a renforcé l’État en créant des ministères de l’Éducation et l’Énergie ainsi que des agences de protection de l’environnement et des consommateurs.
Par bien des aspects, la présidence de Carter marque la fin du consensus du New Deal où, pendant presque 40 ans, les Américains s’étaient tournés avec optimisme vers le gouvernement fédéral pour trouver des solutions. Il sera détesté par la droite pour sa fidélité aux idéaux de gauche, mais aussi par la gauche du Parti démocrate, qui juge sa politique trop néo-libérale. Les Américains choisiront de croire aux promesses de Ronald Reagan : un avenir radieux et optimiste pour une Amérique qui doit être « une cité qui brille en haut d’une colline », incarné par un ancien acteur d’Hollywood qui symbolise la force, la puissance et les valeurs traditionnelles dans un contexte de crise économique et de défiance envers les institutions et l’État.
La défaite de Carter en 1980 annonce un nouveau consensus politique et économique marqué par la révolution reaganienne. Elle signale le début d’une politique dédaignant totalement l’environnement, ce qui aura de terribles conséquences, et le retrait de l’évangélisme progressiste en faveur d’une droite chrétienne qui se confond depuis avec le Parti républicain. Elle préfigure, enfin, les guerres idéologiques et culturelles qui sont au cœur de la société états-unienne d’aujourd’hui
Publié par Dominique Manga dans
AUTEUR
Jérôme Viala-Gaudefroy
Spécialiste de la politique américaine, Auteurs historiques The Conversation France
Commentaires
Enregistrer un commentaire