Prévention des noyades : face à l’océan, aiguisons notre perception du risque
Cet été encore, les plages seront une destination privilégiée des Français. Une aspiration légitime, compte tenu des bienfaits pour la santé humaine que procure l’immersion, ou même la simple proximité de la mer et des plans d’eau. Ces bénéfices portent aussi bien sur notre condition physique que sur notre moral, au point notamment d’aider des personnes à se remettre plus rapidement de blessures ou de maladies graves.
Toutefois, il ne faut pas oublier que se baigner en eaux vives n’est pas quelque chose d’anodin : cette pratique expose à des aléas qui peuvent conduire à des accidents, voire à des noyades. La littérature scientifique sur la sécurité des plages (« beach safety » en anglais) attribue souvent ces accidents à une méconnaissance par les baigneurs des risques qu’ils courent, lesquels seraient, a priori, sous-estimés.
Qu’en est-il sur le littoral français et plus particulièrement sur la façade atlantique ? Nous avons dernièrement publié un article scientifique qui tente d’apporter quelques réponses.
Sur le littoral atlantique, courants d’arrachement et vagues de bord
La dernière enquête de Santé publique France révèle que la plupart des noyades les plus graves ont eu lieu dans le milieu naturel : 45 % se produisent en mer, 23 % dans les cours d’eau et 17 % dans les plans d’eau.
À l’océan, deux des principaux aléas auxquels s’exposent les baigneurs sont les courants d’arrachement (parmi eux, les fameux « courants de baïne » dans le Sud-Ouest) et les vagues de bord (« shore break » en anglais).
Les courants d’arrachement sont des courants intenses et étroits dirigés vers le large et induits par le déferlement des vagues. En Nouvelle-Aquitaine, ils sont à l’origine de la majorité des noyades. Le problème est que ces phénomènes ne sont pas toujours faciles à déceler. Ils sont généralement plus intenses à marée basse qu’à pleine mer et peuvent se révéler assez forts, même par houle de petite taille.
Les vagues de « shore break » cassent à proximité du rivage, avec violence. À l’inverse des courants d’arrachement, ces vagues sont très visibles, parfois spectaculaires. Aujourd’hui, de telles vagues de bord sont responsables de blessures potentiellement très graves avec notamment des traumatismes sévères de la colonne vertébrale (rachis).
Prévention et surveillance ne suffisent pas toujours
Pour tenter de réduire les accidents et les noyades, les sauveteurs définissent des zones de baignade surveillées (délimitées par des drapeaux rectangulaires jaunes et rouges), là où ils estiment que les dangers sont les plus faibles. Ces zones peuvent être déplacées au cours de la journée en fonction des conditions météo.
La couleur de la flamme hissée au poste de secours est un autre signal de la dangerosité de la mer. Les trois couleurs sont le vert (baignade surveillée sans danger apparent), le jaune (baignade surveillée, mais avec un danger limité) et le rouge (baignade interdite). En Nouvelle-Aquitaine, des campagnes de sensibilisation sont également reconduites chaque saison.
En dépit des mesures de sécurité et de cette communication, les sauveteurs interviennent encore très souvent à l’océan, sauvant de nombreuses vies. Le problème est que nous avons tous une vision bien personnelle de ce qui nous pensons être dangereux et de ce qui ne le serait pas. De plus, cette vision ne coïncide pas nécessairement avec celle qu’en ont les professionnels de la sécurité](https://psycnet.apa.org/record/2006-11691-004).
Des visions très personnelles des risques
Pour apprécier la qualification du risque faite par les baigneurs, nous avons mené une enquête auprès de 722 individus, sur la plage de la Lette Blanche, dans le département des Landes.
Nous avons notamment demandé aux visiteurs d’évaluer la dangerosité de la baignade in situ, en utilisant une échelle de notation à 5 niveaux compris entre 0 (aucun danger) et 4 (très dangereux). La question se déclinait en fonction des aléas et des personnes concernées. Les aléas étaient les courants de baïne et les vagues de bord. En ce qui concerne l’exposition, une distinction était faite entre la personne interrogée, les enfants ou les autres adultes accompagnateurs.
L’enquête s’est étalée durant 2 mois, de sorte que les visiteurs interrogés l’ont été dans des conditions météorologiques très différentes. Globalement, les notes associées au risque de vagues de bord par les baigneurs sont plus basses que celles relatives aux courants. Cette différence reste statistiquement significative dans la plupart des conditions marines, y compris celles a priori plus favorables au « shore break » (c’est-à-dire durant la marée haute).
Autre tendance constatée : les notes de risque déclarées sont, quel que soit l’aléa, toujours moins élevées pour soi-même que pour les autres. Ceci traduit un « biais d’optimisme », tendance dont le constat est assez répandu dans la littérature.
Nos analyses ont également mis en évidence que les niveaux de risques déclarés augmentaient avec la « période » de la houle, autrement dit le temps entre deux vagues et leur taille (ces paramètres ont été relevés au moment de la passation du questionnaire). De même, les notes de risques relatifs aux vagues de bord étaient statistiquement plus élevées lorsque les individus étaient interrogés au moment de la pleine mer, avec de forts coefficients, autrement dit lorsque l’effet spectaculaire de la vague est potentiellement le plus important.
Comme on l’observe pour d’autres accidents de la vie courante, les hommes et les jeunes (c’est-à-dire la tranche des 18-25 ans) ont donné des évaluations du risque plus faibles que les autres, à conditions météorologiques identiques. Par rapport au reste de la population, ils auraient donc tendance à sous-estimer le danger. Il en va de même pour les personnes qui ont déclaré se rendre très souvent à la plage durant leur temps libre ou leurs vacances, ailleurs que dans le Sud-Ouest.
Un tel résultat est loin d’être anodin. Il pourrait en effet laisser penser que ces visites régulières à la plage (en général) donnent aux personnes interrogées le sentiment de posséder une habitude, et donc une « expertise » du danger. Or, d’une plage à l’autre, les aléas peuvent tout à fait différer. De plus, la puissance des courants et des vagues de bord est susceptible d’évoluer au cours de la journée.
À l’inverse, les individus qui ont déclaré venir « très souvent » à la plage de la Lette Blanche ont donné des évaluations plus élevées que les autres pour les risques de courant.
Quelles implications pour la prévention ?
Avant tout, soulignons que, malgré des différences observées entre les individus, notre enquête tend à démontrer que les visiteurs interrogés ont une réelle appréhension du danger et qu’ils ne sont pas sujets à une sous-évaluation généralisée. D’ailleurs, une majorité d’entre eux (76,5 %) ont déclaré être « anxieux » ou « incertains » quant à leur capacité à revenir au bord par leurs propres moyens s’ils étaient emportés par le courant.
Dans ces conditions, nos résultats invitent plutôt à insister sur d’autres sujets méconnus, tels que les dangers du shore break, l’influence de la marée sur les courants ou la spécificité des aléas du Sud-Ouest par rapport à d’autres plages.
Il faut également se rappeler que les décisions individuelles ne sont pas prises uniquement à l’aune des risques perçus. D’autres facteurs interviennent dans les choix que nous faisons. Cette enquête s’est par exemple déroulée sur une plage surveillée : du point de vue du baigneur, il est probable que cette surveillance constitue une forme d’« assurance » réduisant sa propre vulnérabilité.
Il serait ainsi intéressant de comparer nos résultats avec la position vis-à-vis du risque des individus qui fréquentent des plages sauvages non surveillées. Et puis, la plage reste un lieu de plaisir et de détente. Des études ont montré que pour les individus, les bénéfices attendus d’activités entreprises de façon volontaire, comme la baignade, l’emportent généralement sur les risques, quand bien même ceux-ci seraient reconnus.
Cet été, restons donc attentifs aux messages des sauveteurs. Et souvenons-nous qu’avant toute chose, l’une des premières consignes de sécurité est de se baigner dans les zones surveillées et de ne pas abaisser notre propre niveau de vigilance.
Les auteurs remercient les sauveteurs du Syndicat Mixte de Gestion des Baignades Landaises pour leur contribution à ce travail. Publié par Dominique Manga (source The Conversation) dans
Auteur
Jeoffrey Dehez
Chargé de recherche en économie des loisirs et environnement, Inrae
Bruno Castelle
Directeur de Recherche CNRS, Université de Bordeaux
Sandrine Lyser
Ingénieure d’études en statistique, Inrae
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