Santé mentale à la sortie de prison : la grande oubliée

 


La prison de l’Aude, à Carcassonne. Tupungato / Shutterstock

Au 1er janvier 2023, la France comptait 72 173 personnes détenues pour 60 670 places de prison réparties au sein de 184 établissements pénitentiaires.

En constante augmentation depuis la fin du premier confinement de 2020, les taux d’incarcération et de surpopulation ne cessent de battre des records.

Ces chiffres, régulièrement repris par les médias, ne donnent cependant qu’une vision « statique » de la population carcérale qui, en réalité, est en constant renouvellement du fait d’une surreprésentation des courtes peines. Près de la moitié des incarcérations durent en effet moins d’une année.

Ainsi, le flux de personnes qui, chaque année, font l’expérience d’une peine de prison est autrement plus élevé. Ce sont environ 65 000 personnes qui sont libérées annuellement en France – un chiffre qui ne prend pas en compte certaines formes de libérations sous contrainte.

Bien que la libération soit souvent attendue avec impatience par celles et ceux qui ont enduré une incarcération, elle est rarement dénuée de difficultés matérielles ou administratives, qu’il s’agisse d’accéder à un emploi, à un logement, à des droits sociaux ou encore à des soins.

La sortie de prison est bien souvent une nouvelle épreuve sur le parcours des personnes détenues, en particulier lorsqu’elles souffrent de troubles psychiatriques graves. Or, l’état de santé mentale précaire de la population carcérale n’est plus à démontrer.

Une santé mentale dégradée en prison

La dernière étude nationale visant à évaluer la prévalence des troubles mentaux des personnes détenues en France remonte à 2006.

Cependant, des travaux récents menés dans les maisons d’arrêt du Nord et du Pas-de-Calais ont clairement montré que, par rapport à la population générale de même âge et de même sexe vivant dans la même zone géographique, la population carcérale présente en moyenne, à l’entrée en détention, trois fois plus de troubles psychiatriques et huit fois plus de troubles de l’usage de substance. Ces deux types de troubles sont d’ailleurs fréquemment associés chez les personnes détenues.

Étudier la santé mentale à la sortie de prison

Aucune étude ne s’était jusqu’à présent penchée sur la question de la santé mentale des personnes détenues au moment de leur libération. On sait pourtant que les personnes récemment libérées de prison connaissent une surmortalité importante.

En France, la mortalité dans les cinq années suivant la libération serait multipliée par 3,6 par rapport à celle de la population générale. Les principales causes de décès identifiées sont l’overdose, les maladies cardiovasculaires, l’homicide et le suicide.

C’est dans ce contexte que l’étude Santé mentale en population carcérale sortante (SPCS) pilotée par la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale (F2RSM Psy) avec le soutien financier de la Direction générale de la santé (DGS) et de Santé publique France, a été menée entre septembre 2020 et septembre 2022.

Les troubles psychiatriques ont été évalués au moyen d’un questionnaire standardisé (Mini-International Neuropsychiatric Interview, MINI) auprès d’un échantillon de 586 hommes (dans 26 maisons d’arrêt) et de 131 femmes (dans 4 établissements pénitentiaires) au cours des semaines précédant leur libération.

Les résultats montrent que chez plus de deux tiers des hommes, au moins un trouble psychiatrique ou lié à une substance est retrouvé : 30 % présentent un trouble thymique (autrement dit, un trouble de l’humeur ou un trouble affectif), 32 % un trouble anxieux (dont 11 % un trouble de stress post-traumatique), 49 % un trouble lié à une substance (dépendance ou usage nocif, hors tabac) et 11 % un syndrome psychotique.

Chez les femmes, plus des trois-quarts de l’échantillon sont concernés par au moins un trouble : 53 % présentent un trouble thymique, 57 % un trouble anxieux (dont 27 % un trouble de stress post-traumatique), 60 % un trouble lié à l’usage de substance et 17 % un syndrome psychotique.

Au total, les chiffres sont éloquents : 32 % des hommes et 59 % des femmes ayant participé à l’étude sont considérés comme modérément à gravement malades.

La place centrale des maltraitances subies

Un autre résultat marquant de notre étude est la prévalence élevée des maltraitances vécues dans l’enfance (négligence émotionnelle et physique, abus émotionnel, physique et sexuel). La quasi-totalité des personnes interrogées a été confrontée à au moins l’une de ces cinq dimensions.

Les abus émotionnels, physiques et sexuels concernent respectivement 41 %, 38 % et 13 % des hommes. Ils touchent 63 %, 47 % et 37 % des femmes.

Ces chiffres confirment la place centrale du psychotraumatisme dans cette population, offrant des pistes d’optimisation des prises en charge mais surtout des perspectives de prévention puisque le lien entre traumatismes infantiles et développement de troubles psychiatriques à l’âge adulte est bien établi.

Poursuivre la réflexion sur la santé mentale en prison

L’étude SPCS fait, comme les travaux épidémiologiques menés en prison l’ayant précédée, le constat d’un état de santé mentale particulièrement altéré chez les hommes et, plus encore, chez les femmes détenues.

En apportant des données inédites sur la santé avant la libération, elle montre aussi que la prévalence des troubles psychiatriques et addictologiques reste au moins aussi élevé en fin d’incarcération qu’à l’entrée en détention.

Ces résultats soulèvent des questions multiples à propos de l’effet de l’incarcération sur la santé mentale et de l’accès aux soins psychiatriques en milieu carcéral. Ils devraient encourager une réflexion sur la formation des acteurs du soin et de la justice à ces problématiques, ainsi que sur les alternatives à l’incarcération pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques, à l’instar du programme Alternative à l’incarcération pour le logement et le suivi intensif (AiLSi) actuellement expérimenté à Marseille. Ce programme expérimental, qui comprend un volet « recherche », propose à des personnes sans domicile présentant des troubles psychiatriques sévères un logement, ainsi qu’un accompagnement par un psychiatre et un addictologue en lieu et place d’une incarcération.

Ouvrir la réflexion sur l’accès aux soins psychiatriques à la sortie

Nos résultats mettent également en évidence la nécessité de repenser les soins psychiatriques dédiés à cette population non pas de manière circonscrite à l’environnement carcéral, mais plutôt dans une perspective générale et intégrée aux dispositifs sanitaires de milieu libre.

L’enjeu de l’identification des troubles psychiatriques avant la libération est crucial, puisque ces derniers sont associés non seulement à une surmortalité (par suicide notamment), mais aussi à la réitération des infractions, tout particulièrement lorsqu’aucune prise en charge n’a été initiée.

Des dispositifs innovants sont expérimentés en ce sens à Lille et à Toulouse, sous la forme d’équipes mobiles transitionnelles (EMOT), qui offrent un accompagnement pluridisciplinaire aux personnes souffrant de troubles psychiatriques sortant de détention. Ces équipes, composées de soignants et de travailleurs sociaux, proposent une prise en charge de six mois, initiée en amont de la libération. L’EMOT tente non seulement d’optimiser les prises en charge au décours immédiat de la sortie de prison, mais aussi de favoriser le relais de soins psychiatriques vers le droit commun.

Il s’agit d’aider ces personnes particulièrement vulnérables et, incidemment, d’éviter le phénomène bien connu des « portes tournantes de la prison ». En effet, une proportion non négligeable des personnes sortant de prison sont condamnées à une nouvelle peine de prison ferme dans l’année de leur libération. Rompre ce cercle vicieux suppose de repenser l’accueil que réservent les institutions publiques à celles et ceux qui tentent de trouver ou de retrouver un équilibre dans la société.(source The Conversation )

Publié  par Dominique Manga dans 


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