Au Sénégal, mobilisation pour protéger le plus grand gisement forestier du pays

Du 7 février au 12 mars 2022, la Dynamique pour une transition agroécologique au Sénégal (DyTAES) – réseau qui fédère l’ensemble des acteurs de l’agroécologie du pays – a entrepris une grande caravane pour rencontrer les agriculteurs et agricultrices du pays. Après un périple de 25 jours ponctué de multiples étapes, les caravaniers ont atteint les départements de Kolda, Velingara et Tambacounda, situés dans le sud-est du Sénégal, une zone forestière de première importance soumise à de multiples pressions. Face à face avec des coupeurs de bois clandestins Cette forêt, Oumar Dème la connaît depuis son enfance. Il l’a vue se dégrader d’année en année, sous l’agression des feux de brousse et des machettes. En 2014, lorsqu’il est devenu maire de sa commune, Ndoga Babacar (département de Tambacounda), il a décidé de consacrer son mandat à lutter contre le fléau de la déforestation illégale. Un pari particulièrement risqué dans cette zone frontalière du Sénégal, en proie à la pauvreté, à la corruption et à la circulation des trafiquants de tous genres. Avec l’appui des habitants, le nouveau maire a construit un réseau de surveillance communautaire qui lui permet de savoir ce qui se passe dans chaque parcelle forestière de sa commune. Un jour d’août 2019, ses informateurs lui ont révélé la présence d’un camp illégal de coupeurs de bois dans une zone reculée, à seulement quelques kilomètres de la frontière gambienne. Il prend alors une décision frappante : se rendre lui-même sur site accompagné de la presse et d’une poignée de militants afin de surprendre les exploitants clandestins ! Arrivé sur place, le groupe découvre une cinquantaine de jeunes hommes et femmes épuisés, le regard hagard, certains semblant en très mauvaise santé. En face des caméras, le maire sermonne le chef de camp et lui rappelle les règles d’utilisation de la forêt en vigueur dans sa commune. Trois années plus tard, en 2022, alors que la nouvelle caravane de la DyTAES sillonne le pays, le constat est amer : à Ndoga Babacar comme dans tout le sud-est du Sénégal, la situation des forêts s’est dégradée. Les ouvriers d’un camp illégal de coupe de bois et de charbonnage, dans une zone isolée du Sénégal oriental à la frontière sénégalo-gambienne. Ces jeunes hommes originaires de Guinée forestière vivent avec leur famille dans des conditions précaires, sans accès à l’eau ni aux soins. Raphael Belmin/CIRAD Camp illégal de coupe de bois (charbonnière, ouvrier et fagots) dans la forêt aménagée de la commune de Ndoga Babacar (département de Tambacounda) ; en août 2019, Oumar Dème (en bleu), maire de la commune, a organisé une conférence de presse dans ce camp. Raphael Belmin/CIRAD Une région forestière menacée par les activités humaines La région Sud-Est du Sénégal est pourtant gâtée par la nature. Contrastant drastiquement avec le reste du pays, cette zone subtropicale bénéficie de précipitations abondantes, en moyenne 730 mm/an. Ce climat clément permet de maintenir le plus grand gisement forestier du pays. La région est connue pour ses forêts classées, dont le parc national du Niokolo-Koba, inscrit sur la liste des sites du patrimoine mondial de l’Unesco, abritant une faune et flore très riches. Cependant, à travers la fenêtre des voitures, les caravaniers observent le long des routes des tapis de cendres noires et une savanisation galopante. Triste conséquence du charbonnage, des feux de brousse anthropiques, de l’exploitation forestière et de la mise en culture de nouvelles terres. Producteur maraîcher dans une zone de front pionnier de Medina Yoro Foulah (département de Kolda). Raphael Belmin/Cirad Malgré une volonté politique de protéger les forêts, ces dernières disparaissent à un rythme effréné. Entre 1990 et 2015, les forêts sont passées de 9,3 à 8,2 millions d’hectares au Sénégal, enregistrant une perte moyenne annuelle de 40 000 ha. Mactar Diop, préfet du département de Kolda, est conscient du désastre environnemental qui se joue : « la coupe du bois, les défrichements irréguliers pour la production agricole et les feux de brousse anthropiques causent la disparition de beaucoup d’espèces animales et végétales ». Le commerce illicite de bois entre le Sénégal et la Gambie contribue à la disparition progressive d’espèces forestières comme le vène (Pterocarpus erinaceus) et le kapokier (Ceiba pentandra). Parcelle forestière après un feu de brousse dans le département de Kolda. Raphael Belmin/CIRAD Chaque année, les populations du département de Kolda mettent le feu aux forêts et aux jachères. Le brûlage permet de défricher rapidement les sous-bois et de stimuler la croissance de la biomasse herbacée pour nourrir le bétail. Cette pratique, lorsqu’elle n’est pas bien maîtrisée, peut également tuer les arbres et dégrader les sols. Raphael Belmin/Cirad Une agroécologie protectrice des forêts Lors de son passage dans le sud-est du Sénégal, la caravane DyTAES a mis en lumière plusieurs initiatives de lutte contre les feux de brousse anthropiques et la coupe abusive des arbres. À Kolda, deux communes contiguës (Niaming/Médina Yoro Foulah) se sont coordonnées depuis 2020 pour mettre en défens une parcelle forestière de 20 hectares. Bien que de petite échelle, cette initiative a montré qu’avec un engagement fort des collectivités territoriales, il était possible de mettre un coup d’arrêt rapide à la déforestation. [Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui] Dans le département de Vélingara, plusieurs comités de gestion des catastrophes naturelles ont été créés avec l’appui de l’ONG World vision. Ces comités organisent un réseau de surveillance et d’alerte contre l’élagage illégal des arbres. Ils implantent également des haies « pares-feux » en privilégiant l’anacardier, une essence qui produit les délicieuses noix de cajou et qui constitue une excellente barrière naturelle contre la propagation des incendies. À Tambacounda, l’ONG Enda Pronat fait la promotion à grande échelle de la régénération naturelle assistée, une pratique qui consiste à protéger les jeunes arbres qui apparaissent spontanément (plutôt que de planter de nouveaux arbres). Le secrétaire du comité environnemental de veille de la forêt de Niaming/Médina Yoro Foulah, dans le Sud-Est du Sénégal. Raphael Belmin/Cirad, CC BY-NC-ND Visite par les caravaniers de la forêt mise en défens de Niaming/Médina Yoro Foulah ; L’anacardier, en plus de produire des noix, permet de construire des haies vives pare-feux. Raphael Belmin/CIRAD ; Malick Djitté/FONGS Semer les graines du changement Lutter contre la déforestation passe également par une sécurisation et une diversification des moyens d’existence des populations. Dans le sud-est du Sénégal, ces dernières dépendent principalement de l’élevage, de la production de coton, de la riziculture et des cultures d’autosubsistance (niébé, fonio, mil, maïs, etc.). Malheureusement, ces spéculations subissent de plein fouet les effets négatifs de la révolution verte. En particulier, le coton est en proie à une utilisation importante et abusive de pesticides parfois non homologués ; une situation rendue possible par le manque d’encadrement des producteurs et la porosité de la frontière sénégalo-gambienne. Culture conventionnelle de coton à Koussanar (département de Tambacounda) ; moissonneuses-batteuses utilisées en riziculture intensive à Anambe (département de Velingara) ; Élevage intensif de volailles à Medina Yoro Foulah (département de Kolda). Raphael Belmin/CIRAD Lors des étapes sud-est de la caravane, les participants ont rencontré plusieurs initiatives agroécologiques visant à réduire la dépendance des paysans et paysannes vis-à-vis des intrants extérieurs (pesticides, engrais et semences). Dans le département de Vélingara, par exemple, la ferme agroécologique Biolopin à Djimini intègre intelligemment l’arboriculture, le maraîchage bio, l’élevage et la production de plantes médicinales. La ferme produit, améliore et diffuse des « semences paysannes » en collaboration avec l’Association sénégalaise des producteurs de semences paysannes (ASPSP). Rustiques, résistantes et peu coûteuses, ces semences paysannes offrent une alternative précieuse aux semences distribuées par les compagnies agrosemencières, particulièrement gourmandes en intrants chimiques et dont la productivité diminue à chaque cycle cultural. Lamine Biaye, fondateur de Biolopin, rappelle qu’« en agroécologie, il ne faut pas dépendre des semences extérieures […] ; il faut au contraire les produire soi-même pour être autonome. Il y a un grand vent de transition agroécologique à travers le monde, mais il n’y a pas de transition agroécologique sans semences paysannes ». Visite d’un « grenier traditionnel amélioré » avec l’appui de Am Be Koun – Solidarité ; Semences et farine de mil ; Lamine Biaye, fondateur de Biolopin, présente sa collection de « semences paysannes ». Raphael Belmin/CIRAD ; Malick Djitté/FONGS Dans le département de Tambacounda, les producteurs sont également sur la voie de l’autonomisation semencière. Des banques céréalières villageoises ont été créées par l’ONG CARITAS dans 20 villages, bénéficiant à 1020 producteurs et productrices sur une superficie totale de 213 hectares. À Koussanar, l’ONG ActionAid et la Fédération Yakar Niani Wouli ont mis en place une production écologique de semences bénéficiant à 40 femmes issues de 6 villages. À Saré Nopi, l’organisation Am Be Koun-Solidarité (ABK-S) a modernisé le grenier traditionnel « kourou-kourou » afin d’améliorer les conditions de conservation et de préservation des semences. Après leur périple de 34 jours à travers le Sénégal, les acteurs de la caravane DyTAES vont se consacrer à la capitalisation des résultats obtenus sur le terrain et à l’ouverture d’un nouveau cycle de dialogue avec le gouvernement sénégalais. Une manière de porter la voix des ruraux du pays et d’alimenter le « plan Sénégal Émergent Vert » en cours d’élaboration. Publié par Dominique Manga dans
Authors Marie-Liesse Vermeire Chercheuse en écologie du sol, Cirad Raphaël Belmin Chercheur en agronomie, photographe, accueilli à l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA, Dakar), Cirad Laure Diallo est co-autrice de cet article. Retrouvez tous les articles sur la

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