Les frontières des États-Unis vont rester ouvertes pour les immigrés hautement qualifiés en sciences et en technologies
L’administration Trump 2 a fait de la lutte contre l’immigration une priorité de politique interne. Au-delà des images chocs d’arrestations, la réalité est plus complexe, notamment pour les immigrés ayant des compétences scientifiques très pointues. La suprématie scientifique et technologique des États-Unis continue et continuera de dépendre de leur capacité à attirer les cerveaux du monde entier.
Le président Trump expulse en masse les immigrés sans papiers, tente de remettre en cause le droit du sol pour les enfants nés aux États-Unis de parents qui n’y résident pas officiellement. Il s’en prend aussi aux étudiants étrangers des universités les plus prestigieuses. C’est un moyen que le président utilise pour les forcer à accepter les ingérences de son administration dans la sphère universitaire et de la recherche scientifique. Cette administration tente ainsi d’obtenir le licenciement ou l’arrêt du recrutement de certains scientifiques de haut niveau états-uniens et surtout étrangers.
Largement médiatisées, ces attaques ne doivent pas faire oublier qu’une part importante des immigrés présents aujourd’hui aux États-Unis est hautement diplômée, selon l’enquête American Community Survey (disponible sur le USA IPUMS dont sont extraites la plupart des données du présent article. Le président Trump va-t-il aussi leur fermer les frontières des États-Unis ? Ou, au contraire, va-t-il se borner à effectuer une sélection, entre ceux et celles qui, jugés indispensables au bon fonctionnement de l’économie, bénéficieront de toutes les protections et de tous les avantages matériels, tandis que les autres seront de plus en plus rejetés ?
Le grand tournant des années 1960
L’histoire du brain drain (l’attraction des cerveaux), notamment européens, vers les États-Unis est ancienne. Le grand tournant de la politique migratoire eut lieu en 1965. Le président démocrate Lyndon Johnson voulait que les États-Unis redeviennent une « terre d’accueil ». Pour cela, une nouvelle législation fut adoptée pour favoriser l’immigration familiale et, surtout, celle des personnes ayant des qualifications ou des compétences exceptionnelles. On leur offrait la possibilité d’obtenir un droit de séjour permanent, encore dénommé Green Card (carte verte).
Par ailleurs, les personnes ayant au minimum un diplôme de niveau bachelor (license) – dans la pratique un master était requis –, pouvaient obtenir un visa de travail temporaire de trois à six ans, suivi, le cas échéant, par la carte verte.
Depuis lors, cette législation a connu de nombreuses adaptations, mais n’a pas fondamentalement changé. Ses effets, jusqu’en 2024, ont été progressifs et massifs. Précisons que l’enquête American Community Survey considère comme immigrée toute personne née à l’étranger. En 1980, ces immigrés d’âge pleinement actif (de 25 ans à 64 ans) représentaient 7,2 % de la population résidant aux États-Unis. En 2020, ils constituaient 19 % de cette population. Une partie de celle-ci, surtout d’origine latino-américaine, avait un très faible niveau de diplôme. En effet, 84 % de ces derniers avaient un niveau d’éducation inférieur ou égal au diplôme de fin d’études secondaires.
Des immigrants diplômés
Cependant, beaucoup d’immigrants, admis dans les années 1980 et 1990, étaient de plus en plus diplômés. Depuis, leur montée en qualification a été régulière. En 2020, parmi l’ensemble de la population immigrée, on trouvait davantage de titulaires d’un diplôme de 3e cycle (master ou doctorat), qu’au sein de la population d’origine états-unienne. Si bien que les immigrés représentaient un tiers des personnes résidant aux États-Unis qui étaient titulaires d’un doctorat.
Ce constat mérite d’être relativisé. Si les diplômés dans les disciplines scientifiques et technologiques et du management représentaient la grande majorité des immigrés admis à résider et travailler aux États-Unis, les diplômés de sciences sociales, de disciplines littéraires et artistiques, étaient beaucoup moins nombreux à obtenir cette admission.
Européens, Chinois et Indiens
Trois groupes d’immigrants se distinguaient par leur niveau d’éducation particulièrement élevé. Tout d’abord, par ordre croissant, on dénombrait 1,5 million d’Européens des 27 pays de l’Union européenne, appartenant à cette classe d’âge pleinement active ; 30 % d’entre eux étaient titulaires d’un diplôme de 3e cycle. La palme revenait aux Français au nombre de 120 000 ; 52 % d’entre eux possédaient un diplôme de 3e cycle.
Ensuite, un deuxième groupe de personnes hautement diplômées était constitué par les Chinois, au nombre de 1,9 million pour cette classe d’âge ; 37 % d’entre eux avaient un diplôme de 3e cycle. Enfin, le groupe des immigrés indiens était le plus nombreux avec 2,8 millions de personnes, dont 43 % possédaient un tel diplôme.
En témoignent quelques figures bien connues comme, par exemple, les Français Yann Le Cun ou Jérôme Pesenti qui ont exercé de hautes fonctions chez Meta, tandis que Joëlle Barral était directrice de la recherche fondamentale en intelligence artificielle (IA) chez Google Deep Mind. Quant à Fidji Simo, elle est devenue, en 2024, directrice générale des application d’Open AI. Sundar Pichaï chez Google ou Shantanu Narayen chez Adobe System illustrent, quant à eux, la présence des Indiens.
Les données de l’administration états-unienne de l’immigration montrent que ce sont les entreprises de la tech qui obtiennent le plus grand nombre de visas pour employer des immigrés les plus qualifiés. Les « seven magnificients » : Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, Nvidia et Tesla arrivent en tête. Chacune d’elles obtient chaque année plusieurs milliers de visas pour embaucher des étrangers hautement diplômés.
Des immigrés aux postes les plus élevés
D’une manière générale, les immigrés sont nombreux dans les échelons supérieurs de ces organisations. Ceci est attesté par leur position dans la hiérarchie des salaires. Par exemple, dans le secteur de la construction électronique (incluant Apple), les 5 % de salariés les mieux payés perçoivent un salaire annuel égal ou supérieur à 220 000 dollars. Parmi ceux-ci, on compte 38 % d’immigrés. De même, dans le secteur de la communication et des réseaux sociaux (incluant Facebook), 5 % des salariés perçoivent une rémunération annuelle égale ou supérieure à 310 000 dollars. On dénombre 33 % d’immigrés parmi eux. Dans l’enseignement supérieur, on trouve 26 % d’immigrés dans la classe des 5 % de salariés les mieux payés.
France 24 – 2025.
La longue histoire du brain drain vers les États-Unis est loin d’être terminée, malgré de possibles soubresauts, comme l’ont montré, en décembre dernier, les dissensions au sein du camp MAGA.
Le Made in USA et son économie ne peuvent pas se passer de l’emploi des étrangers. Quelles que soient les évolutions politiques dans les années à venir, les gouvernants continueront à donner la priorité absolue à la suprématie de leur pays dans ces domaines. La politique migratoire de Trump et de ses successeurs laissera les frontières largement ouvertes aux scientifiques et managers étrangers, comme au cours de ces soixante dernières années.
Des attaques ciblées de D. Trump
Les attaques de Donald Trump contre la science ne doivent pas tromper. Son combat concerne les disciplines et les scientifiques dont les travaux et les démonstrations s’opposent à son idéologie, qu’il s’agisse de la climatologie, d’une partie des sciences médicales et de la quasi-totalité des sciences sociales (études sur le genre, les inégalités, les discriminations de toutes origines).
Sa politique relève d’une conception instrumentale de la science et des scientifiques, rejetant ceux qui ne servent pas ses intérêts économiques et ses options idéologiques. S’ils sont étrangers, ils risquent l’expulsion. Les autres, indispensables aux entreprises de la tech, sont les bienvenus aux États-Unis et le resteront, car il existe désormais une concurrence intense sur ces marchés mondialisés de l’emploi des « talents », selon l’expression popularisée par les publications de l’OCDE. Cette compétition va se poursuivre et s’exacerber.
Cette situation devrait davantage préoccuper les gouvernements européens et français. L’exode des cerveaux de l’UE risque de se prolonger, voire de s’accroître. Les données de l’OCDE font ressortir l’insuffisance des investissements en recherche et développement (R&D) de la France au même niveau que la moyenne de l’UE (2,15 % du PIB), et très en deçà des États-Unis (3,45 %). Cette faiblesse des investissements concerne aussi bien la recherche publique que privée. Sur la période 2013-2024, les entreprises états-uniennes ont investi dans l’IA 470 milliards de dollars, les entreprises allemandes 13 milliards et les entreprises françaises 11 milliards. C’est dire, sur ce domaine d’avenir, combien le pouvoir d’attraction de l’économie des États-Unis est déterminant. ( source The Conversation ) publié par Dominique Manga
AUTEUR
Dominique Redor
professeur émérite université Gustave Eiffel, chercheur affilié au Centre d'Etudes de l'emploi, CNAM, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
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