Maladies infectieuses : de nouveaux résultats éclairent les mécanismes de la septicémie
Certaines bactéries (amas de cellules rose vif, entourées de cellules sanguines magenta, plus grosses) peuvent être à l'origine d'infections mortelles, soit directement, soit en déclenchant une réaction immunitaire excessive. Scharvik/iStock via Getty Image
La septicémie est une affection potentiellement mortelle qui survient lorsque la réaction de notre organisme à une infection est excessive, ce produit des lésions des tissus et des organes. La première référence à la septicémie date de plus de 2 700 ans. Elle est due au poète grec Homère, qui l’a utilisé comme un dérivé du mot sepo, qui signifie « je pourris » ou « je corromps ».
Si d’importantes avancées ont été accomplies dans le domaine de la compréhension des mécanismes biologiques à l’origine de la septicémie, celle-ci constitue aujourd’hui encore un problème médical majeur, puisqu’elle affecte chaque année près de 50 millions de personnes dans le monde, dont 750 000 rien qu’aux États-Unis, où elle représente la pathologie la plus chère à traiter : sa prise en charge annuelle est estimée à plusieurs dizaines de milliards de dollars (24 milliards en 2013). En 2017, la septicémie a été à l’origine de 11 millions de décès dans le monde.
Notre travail de recherche consiste à étudier la façon dont certaines espèces de bactéries interagissent avec les cellules humaines au cours des infections. Notre objectif est de comprendre le plus précisément possible pourquoi, parfois, une réponse immunitaire excessive se met en place, avec des conséquences pouvant être délétères, voire mortelles, comme dans le cas de la septicémie. Nos travaux les plus récents, publiés dans la revue Science Immunology, nous ont permis d’identifier les cellules et molécules potentiellement responsables de cette situation.
Le rôle des facteurs de nécrose tumorale
En cas d’infection, la réaction de notre organisme débute dès que l’envahisseur est repéré par nos cellules immunitaires. Ces dernières relarguent alors de petites protéines, les cytokines, dont le but est de faire venir d’autres cellules immunitaires au point d’infection (qui peut être par exemple une blessure, porte d’entrée de microbes dans le corps).
Bien que ces cytokines soient des actrices essentielles de la réponse immunitaire, leur production excessive et incontrôlée peut mener à une situation catastrophique, la fameuse « tempête de cytokine » rendue récemment célèbre par la pandémie de Covid-19. Parfois observée au cours de certaines infections virales, cette réaction est également associée à la septicémie. Elle a été pour la première fois décrite dans des contextes de transplantations d’organe, lorsque surviennent des complications aboutissant au rejet de la greffe (réaction dite « du greffon contre hôte »).
Parmi les centaines de cytokines qui existent, le facteur de nécrose tumorale (ou TNF pour « tumor necrosis factor », fait partie des plus puissantes. Elle fait également partie de celles qui ont été les plus étudiées au cours des cinquante dernières années.
Le facteur de nécrose tumorale doit son nom à sa capacité à induire la mort des cellules cancéreuses lorsque le système immunitaire est stimulé par un extrait de bactéries appelé « toxine de Coley », mis au point par le chirurgien américain William Coley à la fin du XIXᵉ siècle. Des travaux ultérieurs ont permis d’identifier le composé à l’origine de cet effet : le lipopolysaccharide, ou LPS, un composé présent dans la membrane externe de certaines bactéries (les bactéries à Gram négatif, ndlr).
Le LPS est l’activateur du TNF le plus puissant connu à ce jour. TNF qui, rappelons-le, aide à recruter d’autres cellules immunitaires sur le lieu de l’infection, une fois l’alerte à l’envahisseur déclarée dans notre corps, en vue d’éliminer les bactéries qui s’y trouvent.
Dans des conditions normales, le TNF favorise les processus biologiques bénéfiques tels que la survie cellulaire et la régénération des tissus. Toutefois sa production doit être régulée très finement afin d’éviter la mise en place d’une inflammation trop soutenue et la prolifération continue des cellules immunitaires. Des niveaux de TNF incontrôlés peuvent entraîner l’apparition d’arthrite rhumatoïde ou de problèmes inflammatoires similaires.
Lors d’une infection, la production de TNF doit aussi être très contrôlée afin d’éviter que l’inflammation ne cause des dommages trop importants au niveau des tissus et des organes, et que ne se mette en place une réponse immunitaire excessive. Hors de contrôle, le TNF peut mener à la septicémie.
Durant plusieurs décennies, les scientifiques s’intéressant aux causes du choc septique se sont penchés sur les conséquences de la réponse à la présence de LPS bactérien. Dans le modèle résultant de ces travaux, le LPS commence par activer certaines cellules immunitaires, lesquelles déclenchent à leur tour la production de cytokines inflammatoires, en particulier de TNF. Ceci a pour conséquence une prolifération, un recrutement et une destruction excessive d’autres cellules immunitaires ; cette situation finit par endommager tissus et organes. Une réponse immunitaire trop importante n’est donc pas une bonne chose.
Les chercheurs ont montré que bloquer l’activité du TNF permet de traiter de nombreuses maladies auto-immunes, notamment l’arthrite rhumatoïde, l’arthrite psoriasique, et les maladies inflammatoires de l’intestin. L’utilisation d’inhibiteurs du TNF a explosé au cours des dernières décennies : le marché de ces médicaments est désormais estimé à 40 milliards de dollars.
Les inhibiteurs de TNF se sont cependant avérés incapables de prévenir la tempête de cytokines provoquées par l’infection par le SARS-CoV-2, le virus responsable du Covid-19, tout comme ils ne peuvent empêcher la survenue de septicémie.
Il faut dire qu’en dépit d’années de recherche, les mécanismes qui sous-tendent les effets délétères du TNF demeurent particulièrement mal compris… Étudier la septicémie pourrait fournir des indications sur la façon dont le TNF influe sur la réponse du système immunitaire à une infection.
Comment le TNF devient-il léthal ?
Dans des conditions d’inflammation aiguë telle que celle qui existe au cours de la septicémie, les inhibiteurs de TNF sont moins efficaces pour prévenir la surproduction de cette cytokine. Toutefois, des études menées chez la souris révèlent que neutraliser le TNF peut permettre d’empêcher la mort des animaux induite par la présence de LPS bactérien. Les raisons de cette disparité, qui souligne la nécessité de mieux comprendre en quoi le TNF contribue au développement de la septicémie, sont encore inconnues.
Pour tenter d’apporter notre pierre à l’édifice, nous avons étudié le rôle joué par les cellules sanguines fabriquées dans la moelle osseuse, ou cellules myéloïdes. Celles-ci sont en effet connues pour être les principales productrices de TNF. Se pourrait-il que ces cellules myéloïdes soient également responsables de la mort cellulaire induite par le TNF ?
Pour le déterminer, nous avons dans un premier temps identifié les molécules qui pourraient être à même de conférer une protection contre la mort induite par le TNF. Après avoir injecté à des souris une dose léthale de TNF, nous avons découvert que celles qui ne possédaient pas les protéines TRIF ou CD14 avaient de meilleurs taux de survie que les autres. Ces deux protéines sont associées à la réponse immunitaire induite par le LPS, mais pas par le TNF.
Cette découverte est cohérente avec les résultats de nos précédents travaux, qui avaient révélé que ces deux facteurs étaient des régulateurs d’un complexe de protéines capable de contrôler la mort cellulaire et l’inflammation en réponse au LPS.
Fort de cette confirmation, nous avons tenté de déterminer quelles cellules sont impliquées dans la mort induite par le TNF. Nous avons pour cela injecté une dose létale de TNF à des souris possédant deux sortes de cellules myéloïdes dépourvues des deux protéines TRIF et CD14 (ces deux sortes de cellules étaient les neutrophiles et les macrophages, qui jouent un rôle important dans la réponse immunitaire). Résultat : chez ces souris, les symptômes de septicémie se sont avérés plus faibles que chez les autres rongeurs, et leur survie, meilleure.
Cette découverte indique que les macrophages et les neutrophiles sont probablement des déclencheurs majeurs de la mort médiée par le TNF, au moins chez les souris. Ils suggèrent également que les protéines TRIF et CD14 pourraient constituer des cibles thérapeutiques intéressantes pour de futurs médicaments destinés à traiter la septicémie, en vue notamment de diminuer la mort cellulaire et l’inflammation chez les patients concernés. Publié par Dominique Manga dans
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